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08.11.2021 15:19 Il y a: 3 yrs
Categorie: Veille Juridique

SUR INTERNET, MOURIR PEUT ATTENDRE...


Anticiper sa succession relève aujourd’hui d’une impérieuse nécessité. S’il existe de nombreux outils et de bonnes pratiques pour sécuriser par anticipation la transmission de son patrimoine, comment doit-on appréhender les conséquences du décès sur nos actifs numériques ?

 

« Verba volant, scripta manent » (Caius Titus)

 

 

      1.   LA PRATIQUE DE LA TRANSMISSION NUMÉRIQUE

 

L’anticipation et la planification successorales sont impérieuses pour que l’épreuve de la transmission soit la plus sereine possible. Exercice éprouvé par les professionnels du patrimoine, la pratique successorale se retrouve bousculée par un mouvement de digitalisation et de dématérialisation du patrimoine.

Ces nouveaux actifs immatériels obligent les professionnels à réinventer leur pratique pour qu’elle soit adaptée aux nouveaux besoins des clients, et aux exigences de leur patrimoine. Ce réajustement intellectuel et pratique n’est pas aisé tant les règles qui attraient à ces actifs se trouvent décorrélées des règles classiques de dévolution, on pense tout naturellement aux sorts des données personnelles au décès. Cependant, des outils ont émergé afin de répondre aux enjeux de ces nouveaux actifs, et ainsi adapter l’anticipation successorale au patrimoine numérique.

 

 

      2.   DONNÉES PERSONNELLES ET SUCCESSION

 

Avant toute chose, il est nécessaire de préciser que les données personnelles sont étrangères aux règles « normales » du droit des successions. Il a fallu attendre l’article 63 de la loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, pour voir se créer un dispositif relatif à la mort numérique. Le législateur souhaitait par cette loi  « ne pas créer de césure entre la succession physique et la succession numérique ». Néanmoins, cette saine volonté s’est rapidement heurtée à un obstacle de taille, la patrimonialité des données.

Comme le souligne une partie de la doctrine, admettre que les données à caractère personnel puissent être transmises aux héritiers par un mécanisme relevant du droit des successions et des libéralités, aurait consubstantiellement des conséquences sur « la nature des droits, sur leur titularité, et plus largement interroge sur le modèle économique sous-jacent ». Considérer que la volonté du défunt est une prise sur la transmission de ses données personnelles impliquerait que celles-ci soient des biens pouvant être transmis. Or, c’est là où le bât blesse, les données personnelles sont par essence des droits personnels intrinsèquement intransmissibles.

Exclues du droit des successions, le devenir des données personnelles en cas de décès se trouve régi de façon très limitée. Lorsque le défunt n’a rien prévu, les héritiers peuvent exercer, après son décès, les droits rattachés à ses données à caractère personnel lorsque cela s’avère nécessaire :

  • À l’organisation et au règlement de la succession du défunt ;
  • À la prise en compte, par les responsables de traitement, du décès en demandant notamment la clôture des comptes du défunt, la mise à jour de ses données concernant ce dernier ou la cessation du traitement de ses données[1].

 

La nature des données personnelles un des points d’achoppement principal dans la réflexion d’anticipation. Plus généralement, la présence d’actifs numériques dans un patrimoine oblige le praticien à ajouter un degré d’expertise supplémentaire. La pratique de l’anticipation successorale utilise à ce titre deux outils particulièrement intéressants : les directives et l’audit patrimonial numérique.

 

 

      3.   LES DIRECTIVES RELATIVES AUX DONNÉES PERSONNELLES [2].

 

Toute personne peut établir des directives afin d’organiser l’exercice de ses droits rattachés à ses données à caractère personnel après son décès. Celles-ci peuvent être révoquées ou modifiées à tout moment. Son apport essentiel est de permettre un contrôle, y compris post mortem, aux personnes concernées par un traitement de leurs données à caractère personnel.

Quelques précisions :

 

  • Elles peuvent définir des directives générales sur l’ensemble des données et des directives particulières à chaque traitement pour assurer la conservation, l’effacement ou la communication.
  • Une personne sera chargée de l’exécution de ces directives auprès des responsables de traitement concernés.
  • La directive est générale quand elle concerne l’ensemble des données à caractère personnel d’une personne, elle sera particulière quand elles visent expressément des traitements spécifiques.
  • La directive générale peut être enregistrée auprès d’un tiers de confiance numérique certifié par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). La directive particulière devra être enregistrée auprès des responsables de traitement concerné.
  • Lorsque la personne décède, la responsabilité de l’exécution des directives dépend de leurs stipulations. La compétence pour prendre connaissance des directives et demander leur mise en œuvre incombe aux responsables de traitement : le cas échant à la personne désignée par le défunt dans ses instructions. À défaut de désignation ou sauf directive contraire, aux héritiers du défunt.

 

La prise de directive concernant les données est un outil intéressant d’anticipation successorale mais ne suffit pas à répondre à tous les enjeux de la transmission numérique. C’est à dessein que la pratique a peu à peu développé un outil d’audit spécial pour le patrimoine numérique. 

 

 

      4.   L'AUDIT PATRIMONIAL NUMÉRIQUE  

 

La réalisation d’un audit patrimonial numérique répond à la dématérialisation du patrimoine des clients. À la différence d'un bilan patrimonial classique il s’agit ici d’opérer un inventaire des actifs numériques. Celui-ci vise à décrire et à localiser tous les éléments constituant l'actif et le passif dématérialisés d'une personne. 

Il peut décrire de nombreux éléments, notamment :

  • Comptes auprès de plateformes de paiement en ligne pour divers services commerciaux ;
  • Téléphones intelligents, appareils photos numériques, tablettes ;
  • Musiques et films ;
  • Livres numériques ;
  • Disques durs et cartes mémoires ;
  • Sites internet ;
  • Portefeuilles dématérialisés ou physiques de détention de crypto actifs et crypto monnaies ;
  • Logiciels (d'écriture ou de lecture de documents, de calculs etc.) ;
  • Documents personnels ou professionnels informatisés ;
  • Abonnements ;
  • Noms de domaine ;
  • Blogs.

 

Cette liste devra être complétée avec les identifiants et les mots de passe de tous les sites nécessitant une connexion sécurisée qui devra être régulièrement mise à jour. Cet exercice trouve tout son intérêt dans sa vertu de recensement, de tous supports patrimoniaux existant dans l’univers digital.

 

Dans le cadre de son activité dédiée à l’ingénierie patrimoniale, au droit des nouvelles technologies, de la propriété intellectuelle et de la protection des données, le service Family office et le cabinet d’avocats ALTIJ vous assistent dans la sécurisation de votre patrimoine digital.

 


[1] L’article 40 de la loi « Informatique et libertés » envisage également le devenir de ces données au-delà de la mort de l’intéressé. Ainsi, « les héritiers d’une personne décédée justifiant de leur identité peuvent, si des éléments portés à leur connaissance leur laissent présumer que les données à caractère personnel la concernant faisant l’objet d’un traitement n’ont pas été actualisées, exiger du responsable de ce traitement qu’il prenne en considération le décès et procède aux mises à jour qui doivent en être la conséquence »

[2] Un article 32-4 prévoit plusieurs modifications de l’article 40 de la loi « Informatique et libertés » en vue de prendre en compte la notion de « mort numérique ». Un individu pourra « définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ».

 

Bibliographie :

 

BOIS (J.P.), Dialogue militaire entre anciens et modernes, PUR, 2004.

CASTEX (L.), « Les éternités numériques : un essai d’analyse prospective », RLDI, nº 126, 1er mai 2016.

Fiches d’Orientation, « Mort numérique », Dalloz, juin 2021

GROFFE (J.), « La mort numérique », Dalloz, 2015, p. 1609.

JULIENNE (M.), « Pratique notariale et numérique : état des lieux », Dalloz IP/IT, 2019, p. 96.

PÉRÈS (C.), « Les données à caractère personnel et la mort, observation relative au projet de loi pour une république numérique », Dalloz, 2016, p. 90.

MAISONNIER (A.), « La disparition numérique de son vivant », RJPF, n° 9, 1er sept. 2021.

FAVREAU (A.), « Mort numérique : précisions sur la nature et le régime du contrôle post mortem des données à caractère personnel collectées », RLDI, nº 132, 1er déc. 2016.

MARTIAL-BRAZ (N.), « Les nouveaux droits des individus consacrés par la loi pour une République numérique. Quelles innovations ? Quelle articulation avec le Règlement européen ? », Dalloz IP/IT, 2016, p. 525.

POMMIER (C.), CAZALET (A.) et MAMELI (V.), « Mariage, divorce, succession : chaque étape de la vie nécessite un bilan patrimonial numérique », Dr. fam, 1er sept. 2021.