Télétravail et productivité entretiennent une relation ambigüe. Si de multiples études démontrent que la mise en place de cette nouvelle organisation du travail conduit à une nette augmentation de la performance des entreprises[1], d’autres aboutissent à des résultats radicalement opposés[2].
Selon une étude récente[3], plusieurs facteurs influenceraient la productivité en télétravail tels que l’accès à des technologies de l’information et de la communication (TIC) performantes, la satisfaction des travailleurs consécutive à un meilleur équilibre vie professionnelle et vie personnelle et à une plus grande autonomie, et la réduction de l’utilisation du capital (espace de bureaux, équipements, énergie, etc.).
Il apparait notamment que l’efficacité des travailleurs peut être réduite par le manque de proximité physique, qui influence la communication, le management, voire le taux d’innovation et de création de connaissances[4], et constitue un vecteur de perte de lien social et d’isolement des collaborateurs. Ces considérations ont récemment poussé les géants Apple[5], Meta[6] ou encore Zoom[7], à opérer un retour au présentiel, parfois à l’aide de mesures incitatives voire coercitives. Ces grandes entreprises optent, désormais, pour un mode de télétravail hybride, modèle souple consistant à télétravailler seulement deux ou trois jours par semaine.
Cette organisation du travail permettrait aux entreprises de conserver une partie des éventuels avantages stratégiques du télétravail (attractivité, fidélisation des talents, offre de mobilité et de flexibilité, économies d’énergie, etc.), tout en garantissant la satisfaction des salariés et un bon climat social (notamment si le télétravail a été mis en place conjointement avec les partenaires sociaux dans le cadre d’un accord collectif).
Elle permettrait de répondre aux inconvénients non encore solutionnés par le mode de télétravail hybride (performance des technologies, management, innovation, etc.).
Les nombreuses visioconférences, les chats et les échanges courriels incessants peuvent, en effet, considérablement entraver la communication entre les collaborateurs et avec leurs managers, ralentir le fonctionnement du service ou de l’entreprise mais également générer une surcharge informationnelle.
À supposer que le cadre légal soit respecté[8], la modélisation des mails et l’automatisation de leur envoi fluidifieraient alors les échanges internes[9]. Par ailleurs, la centralisation et la coordination des plannings par une intelligence artificielle permettraient de programmer des visioconférences utiles, au bon moment et, espérons-le, sans problème technique.
Certains employeurs considèrent que la surveillance algorithmique permanente des télétravailleurs garantirait une meilleure productivité des salariés[10].
On rappellera toutefois qu’une surveillance constante et permanente du télétravailleur n’est ni souhaitable ni possible[11], et que, d’une manière générale, toute surveillance des salariés doit rester justifiée et proportionnée[12] (et faire l’objet d’une information individuelle préalable[13], outre d’une information-consultation du CSE dans les entreprises de 50 salariés et plus[14], d’une intégration au sein du registre des activités de traitement[15] et, le cas échéant, d’une analyse d’impact[16]).
Les solutions technologiques apportées par l’IA permettront donc, peut-être, de concilier productivité et télétravail, pour autant que les principes de protection des droits fondamentaux des salariés soient préservés, avec la nécessité de maintenir l’indispensable confiance des partenaires sociaux.
Sur le plan écologique tout d’abord, il est acquis que l’IA pollue. L’énergie supplémentaire consommée pour l’entraînement des IA et le stockage des données est considérable[17]. Il n’est pas certain que les effets bénéfiques du télétravail sur l’environnement compensent ces dépenses additionnelles d’énergie, d’autant que ce bilan plutôt positif risque de se ternir à cause des potentiels effets rebonds liés au mode de vie en télétravail (livraison de repas, pollution numérique, consommation d’énergie dans le logement, etc.).
Sur le plan éthique ensuite, l’IA implique, notamment pour son entraînement, le recours à des travailleurs du clic qui exercent leur activité dans des conditions de travail parfois très dégradées et pour une rémunération souvent dérisoire[18].
Sur le plan humain enfin, la perte de lien social et l’isolement causés par le travail à distance constituent des risques psycho-sociaux pouvant altérer la santé des salariés. La conciliation entre vies professionnelle et personnelle autrefois vantée comme un avantage du télétravail est désormais mise à mal : le recours massif – et non encadré – aux technologies de l’information et de la communication (TIC) fragilise, en réalité, la frontière entre le pro et le perso, jusqu’à la rendre poreuse, au détriment du droit à la déconnexion du télétravailleur.
Ces constats en appellent à la responsabilité sociétale des entreprises mais également au respect de leur obligation de sécurité. Il sera donc primordial de penser et de panser la relation de travail pour conjuguer, dans une logique de proportionnalité, productivité, responsabilité et bien-être au travail.
Nos équipes du pôle Social et du pôle Data sont à votre disposition pour répondre à toutes vos interrogations et vous accompagner dans votre digitalisation.
L'équipe RH / DATA
[1]Bloom, N., Liang, J., Roberts, J. D. & Ying, Z. J. (2015). Does Working from Home Work? Evidence from a Chinese Experiment. The Quarterly Journal of Economics, 130(1), 165–218, doi.org/10.1093/qje/qju032
Angelici, M. & Profeta, P. (2020). Smart‐Working: Work Flexibility without Constraints. CESifo, Working Paper N° 8165. www.cesifo.org/node/53862
[2]Gibbs, M., Mengel, F. & Siemroth, C. (2021). Work from Home & Productivity: Evidence from Personnel & Analytics Data on IT Professionals. University of Chicago, Becker Friedman Institute for Economics, Working Paper N° 2021‐56. dx.doi.org/10.2139/ssrn.3843197
Morikawa, M. (2021). Productivity of Working from Home during the COVID‐19 Pandemic: Evidence from a Firm Survey. Discussion papers N° 21002. Research Institute of Economy, Trade and Industry (RIETI).
[3] Criscuolo, C., Gal, P., Leidecker, T., Losma, F. & Nicoletti, G. (2023). The Role of Telework for Productivity
During and Post COVID‑19. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 539, 51–72
[4]Grossman, G. & Helpman, E. (1991). Innovation and Growth in the Global Economy. Cambridge: M.I.T Press.
[5]https://www.lefigaro.fr/conjoncture/a-partir-de-la-rentree-les-salaries-d-apple-devront-revenir-au-bureau-trois-jours-par-semaine-20220817
[6]https://www.workinglife.fr/meta-facebook-fin-teletravail-tendance-tech-americaine-372
[7]https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/quand-zoom-champion-du-teletravail-appelle-ses-employes-a-revenir-en-presentiel-20230808
[8] Voir les formations de notre partenaire Trust by Design sur la digitalisation du travail et les enjeux juridiques de l’IA. Disponibles sur : https://www.trustbydesign.fr/
[9] Il apparaît toutefois essentiel de sensibiliser et de former les collaborateurs à l’utilisation de ces IA et aux risques y étant attachés. Voir les formations de notre partenaire Trust by Design sur le sujet. Disponibles sur : https://www.trustbydesign.fr/capital-numerique
[10]https://www.usine-digitale.fr/article/teletravail-les-outils-de-surveillance-a-distance-se-generalisent.N1166057
[11]https://www.cnil.fr/fr/les-questions-reponses-de-la-cnil-sur-le-teletravail
[12] Article L.1121-1 du Code du travail
[13] C. trav., art. L. 1222-4
[14]C. trav., art. L. 2312-38 et L. 2312-8
[15] RGPD, art. 30
[16] RGPD, art. 35
[17]https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.aba3758
[18]https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2021-1-page-403.htm