Le salarié, ou la personne qui l’assiste, qui enregistre son employeur à son insu, au cours d’un entretien préalable au licenciement, n’est pas pénalement sanctionnable. Telle est la décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 12 avril dernier, au visa de l’article 226-1 du Code pénal[1].
En application de cet article, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui notamment en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.
Cette position peut laisser perplexe. Et pour cause, il aurait suffi que l’employeur se mette soudainement à évoquer sa vie personnelle, pendant l’entretien, pour que l’action d’enregistrer devienne condamnable[3].
Le critère de la « teneur intrinsèque des propos enregistrés » appliqué pour caractériser l’atteinte à la vie privée de l’employeur[4] n’est probablement pas une solution pérenne, d’autant que les nouvelles technologies continueront de faciliter la production de preuves collectées de manière clandestine.
On rappellera d’ailleurs qu’à l’inverse, s’agissant d’un employeur qui enregistrait ses salariés à l’aide d’un magnétophone dissimulé dans le faux plafond d’un bureau[5], la Cour de cassation n’avait pas tenu compte de la nature des propos enregistrés pour caractériser le délit d’atteinte à l’intimité des salariés.
Un alignement de la jurisprudence serait donc souhaitable sur ce point.
Dans cette optique, la prise en compte du caractère privé du lieu où sont enregistrées les paroles, ou tout autre lieu étant considéré comme privé par assimilation (bureau, local, salle, véhicule, etc), pourrait, en opposition à la solution retenue au sein de l’arrêt critiqué[6], être pertinent[7].
En tout état de cause, l’enregistrement à son insu des propos de l’employeur, bien que non sanctionnable pénalement, pourrait être jugé comme une preuve déloyale et donc irrecevable, dans le cadre d’un litige prud’homal.
La chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu à rappeler que « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue », avant de juger qu’ « il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages téléphoniques vocaux dont l'auteur (à savoir, l’employeur) ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur »[8].
Enfin, si la Cour de cassation juge désormais que les preuves obtenues de manière illicite ne sont pas nécessairement irrecevables, dans le cadre d’un contentieux prud’homal[9], c’est à la condition que celles-ci soient « indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi »[10].
En présence d’une preuve obtenue de façon illicite, il appartient donc au juge prud’homal de rechercher notamment si l’exercice du droit à la preuve n’aurait pu être réalisé par tout autre moyen plus respectueux de la vie privée ou encore du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Or, en l’espèce, il apparait que les propos tenus lors de l’entretien préalable auraient pu être consignés, au sein d’un compte-rendu d’entretien rédigé par le délégué syndical assistant le salarié – procédé manifestement moins intrusif – de sorte que l’employeur pourrait contester, selon nous, le caractère indispensable de l’enregistrement opéré à son insu, afin d’en solliciter son rejet.
Pour conclure, la recevabilité des enregistrements effectués à l’insu de l’employeur au cours d’un entretien préalable à un éventuel licenciement diffère selon que l’on se situe sur le terrain civil ou pénal.
Sur le plan pénal, ces enregistrements ne peuvent être jugés recevables en tant que preuve que s’ils permettent de caractériser la commission d’une infraction pénale[11]. Cette interprétation est une interprétation stricte, compte tenu du principe posé sur la déloyauté attachée au recueil de ce type d’enregistrement, à l’insu de l’employeur.
Sur le plan civil, les juges du fond vérifieront si la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que cette atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi[12].
En définitive, si le salarié peut éviter le risque pénal pour avoir enregistré l’employeur à son insu au cours d’un entretien professionnel, il n’est pas certain qu’il puisse être autorisé à produire une telle preuve à l’appui d’une demande dans le cadre d’une action civile devant le Conseil de prud’hommes.
Reste que l’enregistrement, s’il est rejeté par les conseillers, aura été entendu par ces derniers (ou à tout le moins une retranscription aura été faite par le salarié), ce qui pourra malheureusement influer sur la solution du litige.
Il est attendu des juridictions des précisions, et ce d’autant que la voix reste une donnée personnelle dont la protection est assurée par la règlementation en vigueur[13] et qui peut faire l’objet, avec les technologies d’IA génératives, d’utilisations illicites, dans le cadre notamment de « deep fake », sur lesquelles il convient d’être particulièrement vigilants.
Ce mode de preuve pourra être renversé par la preuve contraire, et notamment faire l’objet d’expertises sur les conditions de son obtention, sa véracité, sa légitimité et ses modes de conservation.
Inévitablement, le degré de conformité à la protection des données sera un facteur déterminant dans la gestion des contentieux, compte tenu des modalités attachées aux exercices de droits (notamment, le renforcement du droit d’accès des salariés), des nouvelles obligations sur les lanceurs d’alerte et du niveau d’accountability général de l’entreprise (information des salariés, charte informatique, analyse d’impact, minimisation, etc.).
Notre pôle Social travaille en synergie de compétences avec le pôle Data/DPO et nous avons développé un service RH Data dédié à la sécurisation de vos pratiques et à la formation de vos collaborateurs dans le cadre de nos formations Trust by design.
Équipe RH / Data
[1] Cass. crim. 12 avril 2023 pourvoi n° 22-83.581
[2] Cass. crim. 16 janvier 1990 pourvoi n° 89-83.075 publié au Bulletin ; Cass. crim., 14 février 2006 pourvoi n° 05-84.384
[3] Cass. 1ère civ. QPC 3 septembre 2014 pourvoi n° 14-12.200
[4] Cass. 1ère civ. QPC 3 septembre 2014 pourvoi n° 14-12.200
[5] Cass. crim. 24 janvier 1995 pourvoi n° 94-81.207
[6] Cass. crim. 12 avril 2023 pourvoi n° 22-83.581
[7] Voir en ce sens Cass. crim. 24 janvier 1995 pourvoi n° 94-81.207
[8] Cass. soc. 6 février 2013 n° 11-23.738 et 11-23.243
[9] Cass. soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203
[10] Cass. soc, 25 novembre 2020, 17-19.523 ; 8 mars 2023 n° 21-17.802 et 21-20.798
[11] Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.464
[12] Cass. soc, 25 novembre 2020, n° 17-19.523 ; 8 mars 2023 n° 21-17.802 et 21-20.798
[13] Dans un contexte professionnel à déterminer