A l’heure du numérique, la distinction entre vie privée et vie publique devient de plus en plus floue. La communication sur les réseaux sociaux transcende les espaces et offre une résonnance nouvelle aux paroles prononcées. L’impression de liberté qui en résulte est parfois illusoire et s’accompagne d’effets retords. On se confie plus mais on se confie mal : l’oreille bienveillante des amis n’est plus celle d’antan tandis que l’amitié est une notion distordue par les nouveaux usages. C’est ce qu’a appris à ses dépens une ex-chef de projet export de Petit Bateau.
La salariée de la célèbre marque française de prêt à porter avait publié sur son compte Facebook personnel une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 qui n’avait été présentée qu’aux seuls commerciaux. Une collègue et « amie » Facebook, avait transféré la capture d’écran montrant ladite publication à son employeur. L’employeur, considérant que cette publication constituait un manquement à l’obligation de confidentialité, a licencié son auteur pour faute grave.
L’employeur pouvait-il fonder la faute grave de sa salariée sur un tel élément de preuve prélevé sur un espace « privé » ?
La Cour de cassation, par un arrêt du 30 septembre 2020 a répondu à l’affirmative : « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi »1.
Cet arrêt sonne le glas d’une jurisprudence plutôt protectrice pour les salariés bien qu’instable et précise les règles en matière d’administration de la preuve issue des réseaux sociaux. Le droit de la preuve doit en effet s’articuler avec le droit au respect de la vie privée et le principe de la loyauté dans l’administration de la preuve. Or, l’arbitrage entre ces droits donne lieu à des fluctuations jurisprudentielle et des conceptions divergentes.
Le salarié, comme sujet de droit, jouit d’un droit fondamental : le droit au respect de sa vie privée2. Dès lors, l’employeur ne peut en principe utiliser un moyen de preuve issu de la sphère privée du salarié et des propos oraux ou écrits tenus dans la sphère privée ne peuvent fonder une sanction disciplinaire3.
Cependant, lorsque les propos sont tenus sur les réseaux sociaux, leur caractère privé ou public questionne. La page Facebook d’un salarié est-elle un espace privé ou public ?
La jurisprudence s’est prononcée à plusieurs reprise sur la question. Les juges du fonds regardent en principe si l’accès est limité ou si la page est ouverte à l’ensemble des internautes. Il a été ainsi jugé que, les publications sur un compte à caractère restreint, ouvert aux seuls amis, étaient de nature privée4. Mais les juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, contrôlent également l’importance de la communauté d’amis ayant accès aux publications. Un compte à accès restreint, perd son caractère privé dès lors que le nombre « d’amis » est élevé5. Cette appréciation in concreto de l’importance de l’auditoire est source d’insécurité juridique.
Le principe de la loyauté de la preuve6 peut également faire échec à la preuve rapportée par l’employeur. L’employeur ne peut obtenir un élément de preuve par des stratagèmes ou machinations destinés à piéger le salarié7. La notion de stratagème et machination est entendue largement par la Cour de cassation. Ainsi, il a été jugé que l’employeur ne peut consulter la page Facebook que le salarié a laissée ouverte sur son poste de travail8. L’imprudence du salarié ne ferait donc pas échec à la déloyauté de la preuve.
La décision du 30 septembre 2020 contraste avec cette solution : la communication d’une publication Facebook à l’employeur, à l’insu de son auteur, n’est pas une preuve déloyale. Certes, le stratagème n’est pas de l’initiative de l’employeur ; la publication n’est pas extraite de la sphère privée par l’employeur mais par un de ses salariés. Néanmoins, de façon indirecte, l’employeur étant responsable des faits de ses préposés, n’y a-t-il pas là une forme de manipulation, de stratagème ou tout du moins de déloyauté ?
Le droit au respect de la vie privée s’oppose ici au droit à la preuve. Ce droit ressort des articles 9 du Code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales, tous deux visés par la Cour de cassation dans l’arrêt du 30 septembre.
A première vue, le droit à la preuve parait ne pas faire le poids face au droit au respect de la vie privée, si cher à votre culture nationale. Pourtant, le droit à la preuve garantit le respect des autres droits. Sans preuve, le justiciable ne peut revendiquer le respect de ses droit et la réparation des atteintes qui leur ont été portées.
En l’espèce, la salariée avait divulgué aux yeux des concurrents la collection à venir. La confidentialité, à laquelle pouvait prétendre l’employeur avait été bafouée. La seule façon pour l’employeur de prouver le manquement était la production de la page Facebook. Le respect de la confidentialité, et partant des droits patrimoniaux de l’entreprise, dépendait donc de l’administration de cette preuve.
En matière de droits, tout est question d’équilibre.
Le 30 septembre dernier, la Cour de cassation, dans un arbitrage classique entre les intérêts en présence, se livre à un contrôle de proportionnalité : elle décide que la production d’une photographie d’une publication Facebook privée, communiquée à l’employeur par un de ses préposés, porte une atteinte à la vie privée de la salariée proportionnée au but poursuivi.
Le contrôle de proportionnalité laisse parfois perplexe. Le curseur ne se place pas toujours au même endroit, source d’insécurité juridique.
Un arrêt similaire avait pu être rédigé par les juges du fond, mais les circonstances particulières expliquaient ce positionnement9. La Cour d’appel de Poitiers avait en effet admins, comme moyen de preuve, un message privé diffusé sur un réseau social pour justifier le licenciement d’un salarié car celui-ci, éducateur spécialisé, était l’auteur de mauvais traitements à l’égard des résidents de la structure qui l’employait10.
En revanche, en l’absence de circonstances particulières, la haute juridiction avait jugé qu’« ayant relevé que le procès-verbal d’huissier établi à la demande de l’employeur rapporte des informations extraites du compte Facebook du salarié obtenues à partir du téléphone portable d’un de ses collègues, informations réservées aux personnes autorisées, la cour d’appel a pu en déduire que l’employeur ne peut y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de l’intéressé »11.
L’arrêt commenté semble dès lors amorcer un tournant et ouvrir une brèche dans la vie privée des salariés. Plus que jamais, les salariés doivent se montrer vigilants dans l’usages des réseaux sociaux et des outils informatiques.
1Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058
2Art. 9 C.civ ; Art. 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
3Droit du travail au quotidien, n°160-95
4Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-19.609.
5Cass. soc., 12 sept. 2018, n° 16-11.690
6Art. 6 CESDH et art. 9 C. proc. Civ.
7Cass. soc., 18 mars 2008, no 06.40.852.
8CA Rouen, 10 févr. 2015, n° 14/03335.
9AYACHE-REVAH, Isabelle, Les Cahiers du DRH, Nº 252, 1er avril 2018
10CA Poitiers, 4 mai 2016, no 15/04170.
11Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-19.609