Abstract : Lorsque les statuts d'une société civile immobilière (SCI) ne mentionnent pas expressément dans l'objet social la faculté de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite des associés, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul et doit être autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts.
L’ingénierie statuaire reste un enjeu majeur afin de protéger la volonté des différents associés, d’autant plus quand la création d’une personne morale est liée à un enjeu familial et patrimonial. L’affaire examinée par la Cour de cassation ne fait que rappeler qu’en matière de droit des affaires, l’anticipation reste le maître mot, notamment face à une éventuelle désunion.
En l’espèce, l’un des associés occupait à titre gratuit, et donc sans indemnité, une partie du bien social. Cette occupation devait découler d’une décision de l’associé gérant prise le 15 septembre 2013, après la séparation du couple, de se consentir un prêt à usage portant sur les premier et deuxième étages de l'immeuble.
La séparation contentieuse du couple entraîna, le 16 juin 2014, lors d'une assemblée générale extraordinaire, convoquée par un mandataire désigné judiciairement, la révocation du gérant minoritaire de ses fonctions, la nomination de l’autre associé en qualité de gérante, ainsi que la résiliation du contrat de commodat.
La fin du commodat sera contestée en justice et finalement frappée de nullité par la Cour d’appel, qui déclara l’ancien gérant minoritaire occupant sans droit ni titre de la partie habitation de l'immeuble de la SCI, le condamnant à payer une indemnité d'occupation et, faute de libération des lieux dans un certain délai, d'ordonner son expulsion.
Un pourvoi est formé au motif que, même si l’objet social de la SCI ne précisait pas expressément que les biens de cette dernière pouvaient être mis gratuitement à la disposition des associés, il devait être recherché par les magistrats si la conclusion d'un contrat de commodat n'entrait pas dans l’objet social et donc dans les prérogatives unilatérales du gérant.
La décision sera confirmée par les magistrats de cassation dans une motivation lapidaire rappelant que lorsque les statuts d'une SCI n'indiquent pas dans l'objet social la faculté de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite des associés, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul et doit être autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts.
Dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, la Cour réaffirme que la possibilité de faire un commodat ne se présume pas. Elle précise à cette occasion qu’il est dans la faculté du gérant de consentir un prêt à usage et donc une occupation à titre gratuit d’un bien social à un associé, mais uniquement si cette modalité d’occupation particulière est prévue dans les statuts.
En l’absence de précision dans les statuts, la décision de la mise en place d’une telle convention relève de la collectivité des associés, selon la procédure de modification des statuts.
C’est donc au stade même de la constitution que cette question doit être posée et que le devoir de conseil doit s’opérer. Celui-ci n’est pas anodin au regard de la multiplication de ce type de situation.
Il n’est en effet plus rare que la constitution d’une SCI dans le cadre familial ait pour finalité l’occupation du bien par un des associés.
Ainsi, afin de sécuriser l’occupation par un associé de la résidence détenue par une SCI, il est fortement recommandé de prévoir dans les statuts précisément les modes d’occupation et de conclure dès le début un contrat entre l’associé et la SCI :
Dans ce dernier cas, l’objet statutaire de la SCI doit expressément prévoir la possibilité pour l’associé d’occuper gratuitement le bien appartenant à la société.
Il convient de souligner que dans le cas d'une SCI à l’IR, un associé peut occuper le bien à titre gratuit. Au niveau fiscal, il n’existera pas d’imposition, faute de loyer versé à la SCI. En effet, dans ce schéma, la SCI est considérée comme se réservant la jouissance du logement. En contrepartie, elle ne peut déduire aucune charge.
Il est cependant possible de prévoir, dans les statuts ou dans la convention de commodat, que les occupants du bien prendront une partie des dépenses à leur charge sans que la convention ne tombe sous le joug d’une requalification.
Une telle convention sera cependant prohibée dans le cadre d’une société fiscalement opaque (imposable à l’IS soit de droit ou sur option).
En conclusion, même pour la SCI la plus simplement façonnée, la rédaction précise des statuts par un professionnel du droit est essentielle. Elle l’est d’autant plus quand il existe une nécessaire anticipation de la désunion, afin d’éviter que le contentieux de la séparation ne soit obéré.
Un avocat qualifié, formé et expérimenté peut anticiper les écueils et éviter les litiges longs et coûteux.