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22.03.2011 10:38 Il y a: 14 yrs
Categorie: Pénal des affaires
Auteur : Me France Charruyer, Avocate à Toulouse - Conseil & Contentieux

QPC ABS : Les achroniques acronymes

Deux procès d’importance se sont ouverts à Paris en ce début du mois de mars : celui de Thierry GAUBERT et celui de Jacques CHIRAC. Deux procès qui ont indéniablement plusieurs points communs : des prévenus poids lourds politiques, des infractions dites « dissimulées » et…un avocat !


Deux procès d’importance se sont ouverts à Paris en ce début du mois de mars : celui de Thierry GAUBERT et celui de Jacques CHIRAC. Deux procès qui ont indéniablement plusieurs  points communs : des prévenus poids lourds politiques, des infractions dites « dissimulées » et…un avocat !

Deux procès donc qui font l’objet d’une stratégie commune : le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité par Maître Jean-Yves LE BORGNE, tendant à faire déclarer inconstitutionnel le délai de prescription des abus de biens sociaux… Et en effet il vaut mieux le demander avant… car si c’est prescrit, tout s’arrête là.

Au-delà de la portée politique d’une telle stratégie de défense, il faut admettre qu’en droit, le débat n’est pas sans intérêt, loin s’en faut.

La réforme qui a instauré, il y a un an maintenant, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permet aux justiciables de saisir le Conseil Constitutionnel en cours d’instance devant une juridiction s’il apparaît qu’une disposition législative ayant vocation à s’appliquer porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

La QPC est une arme indéniable pour qui sait la manier, et qui pourrait s’avérer redoutable dans le cas d’espèce.

Pour comprendre l’enjeu des QPC déposées par Me LE BORGNE, il faut savoir qu’il existe en droit français un débat séculaire (ou presque) relatif au point de départ du délai de prescription des infractions dissimulées. Par principe, toute infraction, à l’exception des crimes contre l’humanité, est soumise à la prescription. Sans rentrer dans le débat philosophique, il s’agit en quelque sorte de la traduction juridique du temps qui passe, de l’oubli et du pardon.

En matière de délit, le délai de prescription de droit commun est de trois années révolues. Cette règle ne dit rien quant au point de départ de ce délai et c’est justement ce qui a fait couler beaucoup d’encre en matière d’abus de bien sociaux.
Depuis 1967, la Cour de Cassation fait de la résistance à cette prescription triennale et a rendu de fait le délit d’abus de biens sociaux quasiment imprescriptible. Catégorisé dans les infractions dissimulées, il fait partie de ce groupe d’infractions pour lesquelles le délai ne court pas à partir de la commission des faits mais à partir du moment où ils apparaissent au grand jour.
Ainsi, dès 1967, la Cour de Cassation a considéré que le délai de prescription ne commençait à courir qu’à partir du jour où le délit avait pu être constaté. Autant dire que la prescription n’était jamais acquise. En 1981, elle a affiné sa position et considéré que le délai ne commençait à courir qu’à partir du jour où le délit avait été constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Enfin et pour contrer les critiques, en 1997, et constamment depuis, la Cour a estimé que la prescription ne commençait à courir, sauf dissimulation, qu’à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société.
Si l’on a pu croire à un assouplissement de la position de la Cour en faveur de la prescription, il ne s’agissait que d’un artifice pour tromper l’ennemi : les termes « sauf dissimulation » ôtent à la nouvelle règle de prescription toute la portée qu’elle aurait pu avoir. En cas de dissimulation, le délai ne commence pas à courir. La boucle est bouclée. L’interprétation fluctuante et pour le moins floue faite de la notion de dissimulation a confirmé l’imprescriptibilité de fait de l’abus de biens sociaux…

Et c’est contre cette jurisprudence que Jean-Yves Le BORGNE monte aujourd’hui au créneau, pour mettre un terme à l’imprescriptibilité des abus de biens sociaux.


La QPC permet donc au justiciable (et à son conseil) de saisir le Conseil Constitutionnel en cours d’instance pour lui soumettre une disposition législative qui lui semblerait contraire à la constitution française afin, le cas échéant, d’en écarter l’application. Le texte dit bien « disposition législative » et non « interprétation jurisprudentielle ». Or, dans le cas des abus de biens sociaux ce n’est pas la disposition législative qui pose problème (article 7 et 8 du Code de procédure pénale posant le principe de la prescription triennale en matière de délit) mais bien l’interprétation qui en a été faite par les juges (quasi imprescriptibilité de fait).

La question avant la question est donc de savoir si les règles de prescription en matière d’abus de biens sociaux, éminemment prétoriennes, peuvent être déferrées au Conseil Constitutionnel. Le Conseil a lui-même affirmé que le justiciable pouvait « contester la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle confère à une disposition législative ».
Si ce principe, honorable en ce qu’il traite la jurisprudence en véritable source normative du droit, ce qu’elle est indéniablement, a été affirmé à deux reprises par le Conseil, il n’a jamais eu à en tirer de conséquences juridiques… et peut-être heureusement !

Car s’ils se laissaient convaincre par l’argumentaire du Vice bâtonnier parisien, que pourraient décider les sages (en le restant) : L’abrogation des articles 7 et 8 du code de procédure pénale portant prescription en matière de délit ? Une injonction à la Cour de Cassation d’opérer un revirement de jurisprudence ?

Cornélien.

Pour le premier anniversaire de la QPC, on ne pouvait rêver mieux.

La deuxième question est celle de savoir quelle sera la liberté constitutionnelle invoquée devant le Conseil Constitutionnel. La réponse est … au choix. Il y a bien le principe de prescription de l’action publique mais il n’a pas encore été reconnu… le pari est double : faire admettre une QPC portant sur une position jurisprudentielle, et faire reconnaître du même coup la liberté sur la base de laquelle serait obtenue l’inconstitutionnalité de la jurisprudence en question. Beau défi à la hauteur des grands procès de ce début d’année.

Et à la troisième question qui est en fait de fond la seule, à quand le départ de la prescription en matière d’abus de biens sociaux, la réponse est …suspendue à la décision du Conseil !
Le Tribunal Correctionnel de Paris a estimé la question suffisamment sérieuse pour être transmise à la Cour de Cassation qui devra elle-même accepter de transmettre la question au Conseil à la condition qu’elle soit nouvelle… Les poupées gigognes de la passoire, du filtre et du tamis.

En attendant (avec impatience) la décision des sages, on en revient nécessairement à se demander si la QPC devrait permettre de contrôler la constitutionnalité des jurisprudences… Le juge est l’interface indispensable entre l’inertie du droit écrit et son adaptation concrète au gré de l’évolution sociétale. Son rôle est de dire le droit en l’appliquant au cas d’espèce et dans le respect des textes suprêmes, constitution y compris. Comment garantir l’indépendance d’un juge judiciaire qui risquerait à tout moment d’être déjugé par un organe dont les membres sont nommés par l’exécutif ?  À quoi relèguerait-on le rôle des juges d’appel et de cassation, s’il suffisait d’en passer par une QPC pour écarter une jurisprudence constante depuis 43 ans ?

Reste qu’au-delà de ces questions de principe, les règles de prescription en matière d’abus de biens sociaux et autres infractions dissimilées sont problématiques : juridiquement peu sécurisantes, et politiquement malléables…

Passer par une QPC éviterait l’épineux problème de faire une loi et d’en supporter le risque politique à une époque hyper sensible du calendrier électoral.
Le contexte tant économique que social dans lequel nous vivons, interdit à tout gouvernement d’inscrire noir sur blanc que la prescription des infractions dissimulées est de trois ans à compter des faits (c’était pourtant exactement libellé de la sorte dans l’avant-projet de réforme de la procédure pénale du printemps dernier…). Cela reviendrait à amnistier de fait tous les criminels en cols blancs.
Il n’y aurait pas de procès Chirac, ni de procès GAUBERT ni tant d’autres.  
À quelques jours seulement de la publication des résultats spectaculaires des entreprises du CAC 40, et alors que les ménages peinent à sortir de la crise, cela ferait mauvais genre.

Alors que nous reste-t-il ?
Doit-on espérer un revirement de jurisprudence après 43 ans de constance ? Ça s’est vu.
Pourquoi ne pas adopter une loi de prescription spéciale qui ferait courir le délai à compter de l’approbation des comptes sur lesquels figure l’opération délictueuse, mais le ramènerait à une durée plus décente….de 7 ans ?

Ou alors, et politiquement c’est certainement le plus sûr, attendons la réponse des sages.