« Verba volant, scripta manent » (Caius Titus)
L’anticipation et la planification successorales sont impérieuses pour que l’épreuve de la transmission soit la plus sereine possible. Exercice éprouvé par les professionnels du patrimoine, la pratique successorale se retrouve bousculée par un mouvement de digitalisation et de dématérialisation du patrimoine.
Ces nouveaux actifs immatériels obligent les professionnels à réinventer leur pratique pour qu’elle soit adaptée aux nouveaux besoins des clients, et aux exigences de leur patrimoine. Ce réajustement intellectuel et pratique n’est pas aisé tant les règles qui attraient à ces actifs se trouvent décorrélées des règles classiques de dévolution, on pense tout naturellement aux sorts des données personnelles au décès. Cependant, des outils ont émergé afin de répondre aux enjeux de ces nouveaux actifs, et ainsi adapter l’anticipation successorale au patrimoine numérique.
Avant toute chose, il est nécessaire de préciser que les données personnelles sont étrangères aux règles « normales » du droit des successions. Il a fallu attendre l’article 63 de la loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, pour voir se créer un dispositif relatif à la mort numérique. Le législateur souhaitait par cette loi « ne pas créer de césure entre la succession physique et la succession numérique ». Néanmoins, cette saine volonté s’est rapidement heurtée à un obstacle de taille, la patrimonialité des données.
Comme le souligne une partie de la doctrine, admettre que les données à caractère personnel puissent être transmises aux héritiers par un mécanisme relevant du droit des successions et des libéralités, aurait consubstantiellement des conséquences sur « la nature des droits, sur leur titularité, et plus largement interroge sur le modèle économique sous-jacent ». Considérer que la volonté du défunt est une prise sur la transmission de ses données personnelles impliquerait que celles-ci soient des biens pouvant être transmis. Or, c’est là où le bât blesse, les données personnelles sont par essence des droits personnels intrinsèquement intransmissibles.
Exclues du droit des successions, le devenir des données personnelles en cas de décès se trouve régi de façon très limitée. Lorsque le défunt n’a rien prévu, les héritiers peuvent exercer, après son décès, les droits rattachés à ses données à caractère personnel lorsque cela s’avère nécessaire :
La nature des données personnelles un des points d’achoppement principal dans la réflexion d’anticipation. Plus généralement, la présence d’actifs numériques dans un patrimoine oblige le praticien à ajouter un degré d’expertise supplémentaire. La pratique de l’anticipation successorale utilise à ce titre deux outils particulièrement intéressants : les directives et l’audit patrimonial numérique.
Toute personne peut établir des directives afin d’organiser l’exercice de ses droits rattachés à ses données à caractère personnel après son décès. Celles-ci peuvent être révoquées ou modifiées à tout moment. Son apport essentiel est de permettre un contrôle, y compris post mortem, aux personnes concernées par un traitement de leurs données à caractère personnel.
Quelques précisions :
La prise de directive concernant les données est un outil intéressant d’anticipation successorale mais ne suffit pas à répondre à tous les enjeux de la transmission numérique. C’est à dessein que la pratique a peu à peu développé un outil d’audit spécial pour le patrimoine numérique.
La réalisation d’un audit patrimonial numérique répond à la dématérialisation du patrimoine des clients. À la différence d'un bilan patrimonial classique il s’agit ici d’opérer un inventaire des actifs numériques. Celui-ci vise à décrire et à localiser tous les éléments constituant l'actif et le passif dématérialisés d'une personne.
Il peut décrire de nombreux éléments, notamment :
Cette liste devra être complétée avec les identifiants et les mots de passe de tous les sites nécessitant une connexion sécurisée qui devra être régulièrement mise à jour. Cet exercice trouve tout son intérêt dans sa vertu de recensement, de tous supports patrimoniaux existant dans l’univers digital.
[1] L’article 40 de la loi « Informatique et libertés » envisage également le devenir de ces données au-delà de la mort de l’intéressé. Ainsi, « les héritiers d’une personne décédée justifiant de leur identité peuvent, si des éléments portés à leur connaissance leur laissent présumer que les données à caractère personnel la concernant faisant l’objet d’un traitement n’ont pas été actualisées, exiger du responsable de ce traitement qu’il prenne en considération le décès et procède aux mises à jour qui doivent en être la conséquence »
[2] Un article 32-4 prévoit plusieurs modifications de l’article 40 de la loi « Informatique et libertés » en vue de prendre en compte la notion de « mort numérique ». Un individu pourra « définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ».
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