« Cosette montait, descendait, lavait, brossait, frottait, balayait, courait, trimait, haletait, remuait des choses lourdes, et, toute chétive, faisait les grosses besognes. Nulle pitié ; une maîtresse farouche, un maître venimeux. La gargote Thénardier était comme une toile où Cosette était prise et tremblait. L'idéal de l'oppression était réalisé par cette domesticité sinistre. C'était quelque chose comme la mouche servante des araignées »1. Ainsi Victor Hugo dénonçait le travail des enfants au XIXème siècle.
A l’opposé de cette exploitation miséreuse, le XXIème siècle a vu naître une autre forme de travail des mineurs, plus attrayante bien que non dénuée de dangers : la promotion de produits de consommation par des vidéos mettant en scène le mineur et postées sur des plateformes numériques. Enfants stars des réseaux, multipliant les vues sur You Tube ou TikTok, les enfants influenceurs sont omniprésents sur la toile.
Ces influenceurs sont parfois très jeunes mais certains ont déjà tout de professionnels aguerris. Ils exposent leur image, mettent en scène leur quotidien, font le show pour promouvoir un produit selon les termes d’un contrat passé avec une marque. Poussés par leurs parents ou leurs proches, ils publient du contenu de manière quotidienne et génèrent un chiffre d’affaire parfois considérable.
Or, cette pratique n’est pas sans risque. Outre les risques psychologiques, de déscolarisation, de cyberharcèlement, voire de pédopornographie, le travail des enfants sur les plateformes de vidéo soulève des cas de responsabilité concernant les parents, les proches, les plateformes et les annonceurs. Pourtant, jusque-là, les enfants influenceurs ne faisaient l’objet d’aucune règlementation.
C’est ce vide juridique qu’est venu combler la loi n° 2020-1266 « visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne » publiée au Journal Officiel le 20 octobre 20202.
Sur le même modèle que les enfants du spectacle et de la mode, le législateur est venu apporter un cadre protecteur pour les jeunes stars 2.03.
La publication régulière et importante de contenu sur les réseaux sociaux ne relève pas toujours du simple loisir ou passe-temps mais s’apparente parfois à une prestation de travail rémunérée en fonction de l’audience et des prestations réalisées. Pas insensibles à l’appât du gain, bon nombre de jeunes influenceurs proposent de manière régulière du contenu, poussés par leurs parents, leurs proches ou des tiers qui revêtent alors le costume de metteurs en scène, réalisateurs ou producteurs.
Pourtant, jusque-là, le Code du travail ignorait cette forme de travail sur les plateformes numériques et le cas des enfants influenceurs s’apparentait à du travail illégal4.
Les parents, les proches ou les plateformes pouvaient dès lors se voir condamner sur le plan pénal pour travail dissimulé5. S’agissant d’un mineur de moins de 16 ans, le risque était particulièrement important puisque la sanction s’élève à 5 an d’emprisonnement et 7.500 € d’amende6.
En se calquant sur le statut des enfants du spectacle et des enfants mannequins, le législateur est venu créer un statut particulier pour les influenceurs mineurs7.
Ainsi, lorsque le mineur remplit les critères du salariat, l’exercice de l’activité d’influenceur est soumis à un régime d’autorisation individuelle préalable. Cette autorisation est donnée par le préfet, sur avis conforme d’une commission compétente8. Par exception, l’autorisation individuelle préalable n’est pas requise lorsque l’employeur dispose d’un agrément préfectoral, sur avis d’une commission9.
Si les agréments et les autorisations administratives ne sont pas respectées, le juge des référés peut être saisi par l’autorité administrative10.
Lorsque l’activité des enfants influenceurs ne rentre pas dans le cadre juridique d’une relation de travail, le législateur a créé un régime ad hoc de déclaration d’activité11.
Point d’autorisation ou d’agrément ici. Le nouveau régime met en place une obligation de déclaration lorsque le mineur de moins de 16 ans est l’objet principal de la vidéo ou du contenu diffusé sur la plateforme et lorsque la durée cumulée des contenus ou les revenus engendrés dépassent un seuil qui sera précisé par décret.
L’autorité administrative recevant la déclaration pourra formuler des recommandations concernant notamment les modalités de réalisation de la vidéo et les horaires et devra informer les représentants légaux sur les risques encourus pour l’enfant.
La publication d’images d’enfants sur une plateforme ouverte au public n’est malheureusement pas sans risque pour ces derniers : risques psychologiques en raison de l’exposition médiatique, risques de cyberharcèlement voire risques de pédopornographie…
Le seul consentement des titulaires de l’autorité parentale exigé par le RGPD ne suffisait pas à apporter une protection efficace12. Le législateur a souhaité apporter une protection supplémentaire bien que peut-être toujours insuffisante.
La loi renforce en effet le droit à l’effacement prévu par le RGPD. Les mineurs dont l'image est diffusée par une plateforme de partage de vidéos peuvent désormais exercer eux-mêmes leur « droit à l'effacement ». L’intermédiaire des représentants légaux n’est donc plus exigée13.
D’autre part, les plateformes de diffusion de vidéos sont mises à contribution. En effet, la loi du 19 octobre 2020 les responsabilise et préconise l’adoption de chartes pour lutter contre l’exploitation commerciale illégale de l’image d’enfants de moins de 16 ans. Celles-ci ont notamment pour objet de favoriser l’information des utilisateurs, de favoriser les signalements, de prendre des mesures utiles en cas de signalement, d’améliorer la détection de situations représentant un risque pour les mineurs et de faciliter le droit à l’effacement des données par les mineurs.
Le CSA est associé à cette démarche et est chargé d’une mission de promotion de ces chartes. Il doit en outre rédiger des bilans périodiques de l’application et de l’effectivité des chartes14.
Néanmoins, contrairement à ce que proposait le texte d’origine, la responsabilité des plateformes reste théorique, aucun mécanisme contraignant n’ayant été mis en place15. Dès lors, il n’est pas certain que la loi du 19 octobre 2020 apporte une réponse à la hauteur des enjeux du sujet.
La loi du 19 octobre 2020 encadre la perception des revenus des mineurs influenceurs.
Comme pour les enfants du spectacle et de la mode, les revenus des jeunes influenceurs dans une relation de travail ou hors relation de travail sont versés sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations. Seule une part de la rémunération fixée par la commission précitée est laissée à la disposition des représentants légaux16. Les revenus sont ainsi conservés jusqu’à la majorité ou à l’émancipation de l’enfant.
Voici qui devrait réfréner les ardeurs de parents peu scrupuleux et avides.
D’autre part, la loi responsabilise les annonceurs qui doivent observer les règles protégeant les intérêts patrimoniaux des mineurs. Les annonceurs sont en effet tenus de vérifier si les revenus de l’influenceur non salarié ne dépassent pas le seuil fixé par décret et, le cas échéant, verser la somme due en contrepartie du placement de produit sur le compte du mineur à la Caisse des dépôts et consignation. Cette fois, le législateur s’est doté des outils pour rendre cette disposition contraignante puisque qu’en cas de non-respect de cette obligation, les annonceurs encourent 3.750 € d'amende.
De mêle, si l’employeur de l’enfant influenceur ne verse pas le salaire sur le compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignation, il encourt une amende de 3.750 €.
Les différents acteurs gravitant autour du jeune influenceur devront donc veiller à respecter l’ensemble des obligations prévue par la nouvelle loi en matière de revenus du travail des mineurs.
La loi du 19 octobre 2020 ne prévoit rien concernant la protection des droits immatériels des mineurs. Pourtant, il conviendrait de sensibiliser les mineurs et leurs représentants à la valorisation de leur image à travers le dépôt éventuel de marque et/ou de surnom mais également à la protection de leurs droits de propriété intellectuelle. En effet, en ces temps de crise sanitaire et de travail à domicile, les enfants redoublent de créativité sur le net. A travers leurs vidéos, les mineurs font preuve d’originalité et sont susceptible de voir leurs créations protégées au titre des droits d’auteurs.
Le droit est au service de la protection des plus faibles au premier rang desquels figurent les enfants. Bien que la loi du 19 octobre 2020 n’apporte pas une réponse sur mesure à toutes les problématiques relatives aux mineurs influenceurs, elle crée un cadre sécurisant et se réfère pour le reste aux outils juridiques existant permettant de protéger et valoriser le travail des enfants notamment sur le plan immatériel.
EN BREF :
Pour accompagner les parents bienveillants dans cette démarche de sécurisation, de protection et valorisation du travail de leurs enfants, les avocats du pôle social et du pôle propriété intellectuelle du cabinet Altij sont à pied d’oeuvre.
1HUGO Victor, Les misérables, 1862
2La loi n’entrera cependant en vigueur que 6 mois après sa publication, comme elle le prévoit dans son article 8.
3Si la loi vise principalement les influenceurs de moins de 16 ans, c’est-à-dire les créateurs de contenu numérique générant le plus de bénéfices, la loi concerne l’ensemble des mineurs de moins de 16 ans s’exposant sur les plateformes de partage de vidéos.
4L’article L 4153-1 du Code du travail interdit le travail des mineurs de moins de 16 ans, sauf exception. Or, jusque-là, le travail des mineurs comme influenceurs sur les plateformes n’était pas une exception.
5L’article L 4153-1 du Code du travail interdit le travail des mineurs de moins de 16 ans, sauf exception. Cette interdiction est sanctionnée sous le fondement du travail dissimulé.
6Art. L 8224-2 C. trav.
7Modifiant l’article L 7124-1 et ss. C. trav.
8Art. R 7124-1 et ss., C. trav.
9Art. 1 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
10Art. 2 du de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
11Art. 3 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
12En effet, l’image d’une personne identifiée ou identifiable constitue à ce titre une donnée personnelle notamment au regard du Règlement Général pour la Protection des Données, comprenant des dispositions particulières concernant les mineurs. Ainsi, l’article 8 du RGPD prévoit notamment que consentement au traitement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l'égard de l'enfant.
13Art. 6 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
14Art. 5 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
15MAXIMIN Nathalie, Dalloz IP/IT 2020, p. 144
16Art. 1 et 3 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020