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< Les dix commandements de la rupture conventionnelle
04.04.2013 10:43 Il y a: 12 yrs
Categorie: Relations individuelles et contrat de travail
Auteur : France Charruyer, Avocat Toulouse - Conseil & Contentieux

Le dernier piège de la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur


Le régime juridique de la prise d’acte, qui se précise à chaque arrêt de la Cour de cassation, apparait de plus en plus dangereux pour l’employeur.

Désormais, ce dernier peut particulièrement craindre le moment de prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, celui-ci déterminant les éventuels effets du licenciement produits (sans cause réelle et sérieuse ou nul), et doit veiller à ne régler aucun différend d’ordre professionnel en dehors du temps et lieu de travail.

Dangerosité du moment de la prise d’acte : attention à ne pas manquer à ses obligations au cours de la suspension d’un contrat de travail pour accident du travail

Une prise d’acte possible pendant la suspension du contrat de travail

Par un arrêt du 12 décembre 20121 , la Cour de cassation reconnait au salarié la faculté de prendre acte de la rupture de son contrat de travail alors même que celui-ci serait suspendu à la suite d’un accident du travail.

Cette précision est particulièrement utile : l’interdiction de licencier un salarié se trouvant dans cette situation, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat2 , ne l’empêche néanmoins pas de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Des conséquences importantes : effets d’un licenciement nul

Une nouvelle exception aux effets produits par la prise d’acte justifiée

En principe, lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission3 .

Cependant, dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que « la prise d’acte intervenue pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail produit les effets d’un licenciement nul, et non un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Cette solution inédite n’est toutefois pas surprenante.

En effet, en l’espèce, la prise d’acte étant justifiée, elle produit les effets d’un licenciement.

Or, le licenciement qui intervient durant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail étant nul (sauf à ce qu’il soit fondé sur une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat), la prise d’acte justifiée produit donc les effets d’un licenciement nul.

Par ce raisonnement logique, la Cour de cassation étend la liste des cas où une prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement nul, à savoir lorsqu’elle provient d’un salarié protégé4  ou qu’elle est fondée sur l’absence ou l’insuffisance du PSE5 .

Indifférence de l’embauche immédiate chez un nouvel employeur

La Haute juridiction précise que les effets d’un licenciement nul sont produits, « peu important que la salariée ait ensuite travaillé pour le compte d’un autre employeur ».

En l’espèce, la salariée avait travaillé chez son nouvel employeur dès le lendemain de la prise d’acte. La Haute juridiction est ferme : cela ne permet pas de requalifier la prise d’acte en démission6.

Une indemnisation indépendante de l’ancienneté du salarié

Cet arrêt s’avère très favorable aux salariés dont l’ancienneté est inférieure à 2 ans, car il leur permet d’obtenir une indemnisation plus importante.

En effet, si le licenciement avait été jugé sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité versée au salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté (outre les indemnités légale ou conventionnelle, de préavis et de congés payés) aurait été déterminée selon le préjudice subi par ce dernier7 .

En revanche, la nullité du licenciement permet au salarié, quand bien même il bénéficierait d’une faible ancienneté, d’obtenir une indemnité minimale de 6 mois de salaire8 . Il est donc primordial pour l’employeur de veiller à respecter les obligations qui lui incombent, tout particulièrement au cours de la période de suspension d’un contrat pour accident du travail (en l’espèce, obligation de verser un complément de rémunération) et d’organiser la visite médicale de reprise9 , seule susceptible de mettre fin à la suspension du contrat10 .

Une prise d’acte néanmoins risquée pour le salarié

Au vu des risques que comporte la prise d’acte quant aux effets qu’elle sera amenée à produire (ceux d’une démission ou d’un licenciement), ce mode de rupture n’est conseillé que dans des situations particulières : lorsque le salarié a retrouvé un emploi ou lorsque l’issue prud’homale, en raison des manquements de l’employeur, est certaine.

Dans les autres cas, il apparait plus judicieux pour le salarié de ne pas prendre acte de la rupture de son contrat de travail, afin de conserver la protection étendue qui lui est accordée durant la période de suspension de celui-ci11  et de continuer à bénéficier des indemnités journalières de sécurité sociale.

Par cet arrêt, il semblerait que la Cour de cassation ait choisi de transposer progressivement le régime du licenciement nul à celui de la prise d’acte : à terme, il est probable que toute cause de nullité du licenciement sera également une cause faisant produire à la prise d’acte justifiée les effets d’un licenciement nul.

Dangerosité des faits commis en dehors du temps et lieu de travail : attention à ne pas régler un différend d’ordre professionnel à l’extérieur de l’entreprise

« Un manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations justifie la prise d’acte, peu important que les faits, qui étaient relatifs à un différend d’ordre professionnel, se soient déroulés en dehors du temps et du lieu de travail12» .

L’exigence d’un manquement suffisamment grave

La Cour de cassation rappelle, tout d’abord, que pour produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la prise d’acte doit être fondée sur des manquements suffisamment graves de l’employeur13 . Tel est le cas notamment lorsque ce dernier omet de verser le salaire ou des éléments de rémunération14 , qu’il modifie unilatéralement le contrat de travail du salarié15 , qu’il manque à son obligation de sécurité de résultat16  ou à son obligation de fournir au salarié le travail convenu17 .

La violence de l’employeur peut également justifier une prise d’acte et faire produire à cette dernière les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est ce qui a été jugé concernant la prise d’acte fondée sur une attitude répétitive constitutive de violences morales et psychologiques18  ou sur l’atteinte à l’intégrité physique ou morale du salarié19 .

Il convient de souligner que l’ensemble des manquements jusqu’alors soumis à l’appréciation des juges avaient eu lieu dans le cadre de la stricte exécution du contrat de travail.

En l’espèce, la salariée invoquait, à l’appui de sa prise d’acte, le comportement violent et vexatoire qu’avait eu l’employeur à son encontre, en l’agressant verbalement et publiquement.

A priori, le manquement de l’employeur semblait caractérisé puisqu’il s’agissait de faits de violence.

Toutefois, la solution n’était pas si évidente puisque les faits litigieux avaient eu lieu dans le cadre de la vie privée de la salariée.

Alors que celle-ci était en arrêt de travail, elle avait vu son employeur faire brutalement irruption dans le club de bridge où elle se trouvait, remettre en cause son état de santé et l’agresser publiquement. Choquée, la salariée s’était alors trouvée dans un état de sidération nécessitant le secours des personnes présentes.

L’indifférence des temps et lieu du manquement, en présence d’un différend d’ordre professionnel

La Cour de cassation est ferme: l’employeur ne peut impunément régler un différend d’ordre professionnel en dehors du temps et du lieu de travail.

Les violences commises dans ce contexte constituent un manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations, justifiant la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié.

Faits commis en dehors des temps et lieu de travail

Pour la première fois, la Cour de cassation considère que les faits commis en dehors des temps et lieu de travail peuvent justifier une prise d’acte aux torts de l’employeur.

Cette solution n’est guère surprenante : elle s’inscrit dans la lignée d’un arrêt récent qui considère que des faits commis hors des temps et lieu de travail peuvent caractériser un harcèlement sexuel20 .

En outre, cette solution parait cohérente au regard du régime du licenciement pour faute.

En effet, un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail21 .

Par cet arrêt, la Cour de cassation ne fait ni plus ni moins qu’une application de cette solution à l’encontre de l’employeur, la prise d’acte étant le pendant du licenciement pour faute.

Le caractère professionnel du différend

La Haute juridiction justifie cette solution par le caractère professionnel du différend qui opposait l’employeur à la salariée.

Pour que la prise d’acte soit justifiée, elle exige donc que les griefs évoqués par le salarié soient en rapport avec la relation contractuelle qui le lie à son employeur.

Le différend qui oppose l’employeur au salarié doit être d’ordre professionnel : tel était le cas en l’espèce, puisque l’employeur remettait en cause la réalité de l’arrêt maladie dont la salariée venait de bénéficier.

Il se déduit de la solution dégagée par la Cour de cassation qu’un fait étranger à l’activité professionnelle du salarié ne peut justifier une prise d’acte de la rupture.

Dès lors que le salarié ne peut établir l’existence d’un lien étroit entre les faits qu’il reproche à son employeur et son activité professionnelle, il lui est donc fortement déconseillé de prendre acte de la rupture de son contrat de travail (celle-ci produirait les effets d’une démission).

Quant à l’employeur, il lui appartient de veiller à ne régler aucun différend d’ordre professionnel en dehors du temps et du lieu de travail, afin d’éviter toute prise d’acte justifiée de la part de son salarié.
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1 Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 10-26.324
2 C. trav., art. L. 1226-9
3 Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335
4 Cass. soc., 17 novembre 2011, n° 10-16.353
5 Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516
6 Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 03-45374
7 C. trav., art. L. 1235-5
8 Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-41.045 ; 21 juin 2006, n° 05-40.595
9 C. trav., R. 4624-21
10 Cass. soc., 28 février 2006, n° 05-41.555
11 C. trav., L. 1226-9 : interdiction de licencier le salarié, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir son contrat de travail ; C. trav., L. 1226-13 : le non-respect de cette interdiction est sanctionné par la nullité du licenciement.
12 Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-20.356
13 Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 01-40.734 ; 19 janvier 2005, n° 03-45.018
14 Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.642
15 Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-40.190
16 Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412
17 Cass. soc., 3 novembre 2010, n° 09-65.254
18 Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-47.296
19 Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-15.493
20 Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930
21 Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464; 27 mars 2012, n° 10-19.915