Le phénomène des "trademark trolls", à l’instar du cybersquatting sur Internet, constitue un défi croissant pour les entreprises, grandes ou petites, qui cherchent à protéger leurs marques. Ces entités exploitent les failles de protection des marques légitimes pour en tirer profit.
Un "trademark troll" est une entité ou un individu qui enregistre ou acquiert des marques sans intention légitime de les exploiter commercialement.
L’objectif principal de tels agissements est de générer une situation de blocage afin de monnayer ces droits enregistrés de mauvaise foi, en exigeant des marques légitimes le paiement de sommes exorbitantes pour pouvoir utiliser ou racheter leur propre marque.
Plusieurs catégories de trolls peuvent être identifiés, en fonction de leur modus operandi :
Les Trolls opportunistes : ils enregistrent des marques notoires sur les territoires où les titulaires légitimes ne l’ont pas encore fait, afin de revendre ces marques à des prix élevés ou d’exiger des redevances contre licence d’utilisation.
Les Trolls récupérateurs : ceux-ci ciblent les marques abandonnées ou non renouvelées, faute de vigilance de leur titulaire, ou encore d’anciennes marques notoires pour capitaliser sur leur renommée passée.
Les Trolls de blocage : ils procèdent à une multiplication des dépôts de marques similaires à la marque légitime convoitée, afin de parasiter et entraver son expansion sur de nouveaux marchés.
Dans tous les cas, un objectif commun : ces enregistrements de marque sont un moyen de pression visant à l’extorsion de sommes astronomiques auprès des marques légitimes.
Les Trolls convoitent particulièrement les marques bénéficiant d’une certaine renommée, et ciblent principalement les territoires sur lesquels le droit des marques privilégie l’exploitation / l’usage de la marque plutôt que son enregistrement et le formalisme associé (premier arrivé premier servi), typiquement la Chine ou les USA. Ils profitent alors du développement de l’entreprise sur le territoire en cause pour faire chanter le titulaire légitime de la marque.
C’est ainsi que Tesla a rencontré de sérieuses difficultés lors de son expansion en Chine, malgré une notoriété mondiale. Un particulier chinois, du nom de Zhan Baosheng, avait enregistré la marque "Tesla" en 2006, soit bien avant que Tesla Motors ne s'implante en Chine.
Lorsqu'elle a voulu entrer sur le marché chinois, Tesla a été contrainte de négocier avec cet individu pour récupérer ses droits et sécuriser la commercialisation de ses produits sur le territoire. C’est après plusieurs années de litiges et négociations que Tesla a racheté la marque, pour un montant non divulgué (mais à n’en pas douter, la note a été salée).
Face à ces pratiques malveillantes, le droit des marques chinoises a tenté de s’adapter, en prévoyant une exception au principe du premier déposant (« first to file ») au bénéfice des marques notoires (Articles 13 et 14 de la loi des marques chimoises), lesquelles bénéficient d’une certaine protection, quand bien même leur titulaire n’a pas pris le soin de déposer.
C’est dans ce contexte que la Cour suprême chinoise a sanctionné deux sociétés chinoises, qui avait attaqué la société Uniqlo, célèbre enseigne japonaise (prêt-à-porter).
Bien que spécialisées dans l’organisation d’exposition, ces sociétés chinoises avaient déposé et enregistré une marque similaire à la marque « Uniqlo », pour des vêtements en classe 25. C’est sur le fondement de cette antériorité que ces sociétés chinoises ont agi en contrefaçon contre le titulaire légitime de la marque Uniqlo.
En application d’une nouvelle disposition de 2013, les juges de première instance ont accueilli la qualification de contrefaçon mais ont rejeté la demande en compensation formulée par les plaignants, au motif que la marque antérieure avait été enregistrée sans intention d’usage, dans le seul but de réaliser des profits grâce à sa vente. Pour preuve, il est souligné que les sociétés chinoises en cause avant procédé à l’enregistrement de 2600 marques, lesquelles avaient fait l’objet de nombreuses cessions.
Les juges de seconde instance ont confirmé la décision des juges du fond : si la contrefaçon est caractérisée, les juges ont retenu qu’aucun dommage n’avait été causé à l’endroit des plaignantes, qui n’ont pas été en mesure de prouver un quelconque usage de leur marque antérieure.
Cette décision souligne les limites de la loi chinoise face aux « trademark trolls » : la sanction se limite à l’absence de dommages et intérêts alloués en cas de contrefaçon, mais la contrefaçon reste caractérisée.
La marque non moins célèbre HERMES, et malgré une bataille de longue haleine, n’a pas trouvé une telle issue. En 2012, la marque a subi une défaite par KO contre un troll qui avait enregistré la traduction chinoise "Ai Ma Shi" (爱马仕). La Cour suprême chinoise a refusé d'annuler cet enregistrement au motif qu'Hermès n'avait pas prouvé que sa marque jouissait d'une notoriété suffisante en Chine au moment du dépôt.
Si le cadre légal chinois est propice au développement des Trademark Trolls, ces derniers ne manquent pas d’imagination pour conquérir d’autres territoires et contourner le droit.
Par exemple, aux Etats-Unis : Tim Langdell, le propriétaire de la marque Edge Games, a été un exemple classique de trademark troll. Il déposait des marques sur le mot "Edge" pour divers produits et poursuivait des entreprises, notamment des développeurs de jeux comme Electronic Arts, pour violation de marque.
Face à de tels agissements, les marques notoires ont opté pour des stratégies d’occupation agressives, qui les ont parfois conduites à flirter avec les limites du trollisme :
Monster Energy Company : Cette société est connue pour ses litiges agressifs concernant le mot "Monster". Elle a poursuivi de nombreuses entreprises ou organisations utilisant le mot "Monster", même dans des contextes où il était peu probable qu'il y ait confusion avec leurs boissons énergétiques.
Take-Two Interactive : La société derrière Grand Theft Auto a poursuivi plusieurs petites entreprises utilisant des termes liés à "Rockstar", notamment des bars ou des événements musicaux, même si ces usages n'étaient pas directement liés à l'industrie du jeu vidéo.
Ikea : le Géant suédois a poursuivi de nombreuses entreprises européennes utilisant des noms ou des logos vaguement similaires, ce qui a suscité des accusations de "troll de marque". Dans certains cas, des petites entreprises ont dû abandonner leurs marques, même lorsqu'elles opéraient dans des secteurs totalement différents.
Big Mac contre Supermac’s (Irlande) : McDonald’s a tenté de bloquer la chaîne de restauration rapide irlandaise Supermac’s en Europe en déposant des marques sur "Big Mac". Cependant, en 2019, l’Union européenne a annulé les droits exclusifs de McDonald’s sur "Big Mac", car ils n’ont pas pu prouver une utilisation significative de la marque.
Red Bull : Red Bull a une longue histoire de poursuites contre des entreprises utilisant "Bull" ou des images de taureaux dans leurs marques, même si les produits n’ont rien à voir avec les boissons énergétiques.
Pour se prémunir de ces agissements frauduleux, sans basculer dans des pratiques aux limites de l’abus de position dominante, deux mots d’ordre : le droit et l’anticipation.
Au-delà des dispositions harmonisées, notamment dans le cadre du système de Madrid, chaque pays dispose d’un arsenal juridique pour lutter contre les dépôts frauduleux :
En France, l'article L711-3 du Code de la propriété intellectuelle interdit l'adoption d'un signe susceptible de tromper le public ou déposé de mauvaise foi.
Aux États-Unis : Le Lanham Act permet d'obtenir l’annulation des marques enregistrées sans intention légitime d'utilisation (exemple : affaire Belmora LLC v. Bayer).
En Chine, une réforme de 2019, a introduit dans la loi chinoise des dispositions spécifiques contre les dépôts réalisés de mauvaise foi.
Ces leviers juridiques permettent aux marques légitimes d’obtenir l’annulation des marques enregistrées de mauvaise foi ou à des fins frauduleuses.
La faille ? La preuve. Pierre angulaire du droit, elle est parfois difficile à établir, notamment face à des Trolls de grande envergure.
La prévention est donc essentielle pour anticiper le risque de blocage lors de l’expansion commerciale de la marque :
Cartographier les territoires en phase de conquête et procéder aux dépôts anticipés de la marque sur les territoires préalablement identifiés.
Optimiser la protection de la marque : procéder aux dépôts de chacune des déclinaisons de la marque (verbale, figurative, logo et visuels associés, éléments figuratifs et visuels combinés, traductions / translittérations locales, étiquettes, etc.)
Surveiller : la mise en place d’une veille automatisée permet de détecter rapidement tout dépôt suspect, et de contester immédiatement toute tentative frauduleuse auprès des autorités compétentes. Une telle veille permet également d’anticiper la stratégie sur les territoires en vue du déploiement commercial projeté.
Exploiter : maintenir et documenter un usage réel, continu et sérieux de la marque pour éviter leur déchéance
Étayer la notoriété : cultiver la réputation des produits et/ou services, documenter les preuves de la notoriété de la marque
Agir : des procédures simplifiées existent tant pour s’opposer à l’enregistrement d’un signe, que pour obtenir la nullité ou la déchéance d’une marque enregistrée.
Outre la protection active des marques, une telle stratégie s’inscrit dans une démarche de valorisation de vos actifs, les investissements réalisés pour la protection et la défense venant nourrir la valeur de la marque.
Assistance naming, marketing de marque au prisme des critères de validité des droits
Recherches d’antériorités
Dépôts sur mesure en France, UE et à l’international (marques), stratégie d’occupation (noms de domaine)
Administration des échéances
Gestion des extensions de protection à l’international (octroi de protection)
Interfaces avec les offices (INPI, EUIPO et OMPI) : traitement des notifications officielles, réclamations des tiers
Surveillance : outils de veille automatisée des actifs, détection de signes parasitaires ou contrefaisants (marques, noms commerciaux, dénominations sociales, noms de domaine, etc.)
Surveillance des faux sites et atteintes sur Internet
Précontentieux : mise en demeure, procédures UDRP, Syreli, oppositions ou nullité de marques, déchéances de droits IP
Take down de faux sites
Contentieux : contrefaçons, concurrence déloyale et parasitaire
Aménagement de la preuve : e-soleau, constats d’huissier, saisies contrefaçon, etc.
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