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25.05.2012 11:05 Il y a: 13 yrs
Categorie: Recouvrement des créances et voies d'exécution
Auteur : Me France Charruyer, Avocate à Toulouse - Conseil & Contentieux

La protection du patrimoine de l'entrepreneur individuel : le cumul de la déclaration d'insaisissabilité et du statut d'EIRL

Chaque entrepreneur individuel se pose la question de la protection de son patrimoine personnel. En effet, puisqu’il exploite son activité en son nom propre, il expose l’intégralité de son patrimoine aux poursuites de ses créanciers, dans le cas où il réaliserait de mauvaises affaires.


Chaque entrepreneur individuel se pose la question de la protection de son patrimoine personnel. En effet, puisqu’il exploite son activité en son nom propre, il expose l’intégralité de son patrimoine aux poursuites de ses créanciers, dans le cas où il réaliserait de mauvaises affaires. Cette règle inscrite à l’article 2284 du Code Civil pose le principe de l’unicité du patrimoine de l’entrepreneur individuel : en cas de difficulté professionnelle, l’entrepreneur individuel répond de l’ensemble de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

A cette fin, le législateur a multiplié depuis une dizaine d’années les dispositifs de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

Les principales mesures ont  consisté dans l’introduction dans notre droit de la déclaration d’insaisissabilité devant notaire et la création du statut d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL).

Si l’intérêt du maintien de la déclaration d’insaisissabilité a pu être posée au moment de l’instauration du statut d’EIRL, l’examen de la pratique et de la jurisprudence révèle que pour l’entrepreneur individuel, la meilleure protection réside dans le cumul de ces deux dispositifs.

En effet, par un arrêt remarqué du 28 juin 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a restauré l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité en décidant que : « le débiteur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce, avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement ».

Selon la position de la Cour de cassation, l’entrepreneur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité dès lors qu’elle a été effectuée avant l’ouverture de la procédure collective. Ce faisant, l’entrepreneur peut donc effectuer sa déclaration à compter du début de son exploitation, mais celle-ci doit être nécessairement réalisée avant l’ouverture de la procédure collective.

Par conséquent, et pendant toute la durée de la procédure collective, le débiteur bénéficiera de la protection offerte par la déclaration d’insaisissabilité, les créanciers soumis à la procédure ne pouvant procéder à l’appréhension des immeubles concernés.

Si cette décision de la Cour de cassation a permis de renouveler l’intérêt de la déclaration d’insaisissabilité, cette dernière devra, pour offrir une meilleure garantie à l’entrepreneur individuel, nécessairement se cumuler avec le statut d’EIRL dont l’objet et la portée sont plus larges.

1 – Quelques rappels sur la déclaration d’insaisissabilité

Introduit dans notre droit par la loi n°2003-721 du 1er aout 2003 et reformé en profondeur par la loi n°2008-776 dite « LME » du 4 aout 2008, la déclaration d’insaisissabilité a pour objet de préserver le patrimoine immobilier de l’entrepreneur individuel des poursuites de ses créanciers professionnels.

Qui est concerné ?

Tous les entrepreneurs individuels, nouveaux ou existants, propriétaires de biens immobiliers (habitation, terrain, immeubles, etc.), exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, y compris les auto-entrepreneurs et les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée.


Quels sont les biens immobiliers pouvant être protégés ?

L'entrepreneur individuel peut protéger des poursuites de ses créanciers professionnels :

  • son habitation principale, qu'elle soit en pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété
  • tout bien foncier bâti ou non bâti qu'il n'a pas affecté à son usage professionnel.

Il peut s'agir de biens immobiliers propres à l'entrepreneur, communs aux époux ou indivis.
Si le bien immobilier n'est pas exclusivement utilisé pour un usage professionnel mais également comme habitation, seule la partie destinée à l'habitation pourra être protégée par la déclaration d'insaisissabilité, à condition de désigner précisément cette partie dans un état descriptif de division.
Concernant les biens immobiliers qui seraient détenus par l’intermédiaire d’une société (et principalement une SCI), le gouvernement a estimé que les parts sociales détenues par les associés de ladite société ne pouvaient être l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité. (Réponse ministérielle n°2005-52819 du 5 avril 2005).


Modalités de la déclaration

 La déclaration d'insaisissabilité doit être établie devant un notaire et contenir :
  • la description détaillée des biens
  • l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis

. Si l'entrepreneur est marié sous un régime de communauté légale ou conventionnelle, il doit, lors de sa demande d'immatriculation, justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l'exercice de son activité professionnelle. Cette justification, qui est exigée de tous les entrepreneurs individuels, peut être apportée par la production d'une attestation sur l'honneur ;
  • Le cas échéant, état descriptif de division si le bien est usage mixte ;
La déclaration doit être publiée au bureau des hypothèques du lieu de situation de l’immeuble.
Elle doit également être mentionnée sur le registre de publicité légale sur lequel est immatriculé l'entrepreneur (Registre du commerce et des sociétés, Répertoire des métiers, etc.). En l'absence d'immatriculation sur un tel registre, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle.

Effets de la déclaration :

Les créanciers professionnels ne pourront pas saisir les biens mentionnés dans la déclaration d'insaisissabilité. 
Celle-ci n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits sont nés après la publication de la déclaration. Elle ne joue donc que pour les dettes futures.
En outre, cette déclaration n’est opposable qu’aux créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle exercée par l’entrepreneur individuel (dettes bancaires professionnelles, dettes de fournisseurs, etc.) Ainsi les créanciers à titre personnel (dettes bancaires personnelles, dettes d’aliments, mais surtout dettes des URSSAF et du Trésor Public) ne pourront se voir opposer la déclaration et demeureront libres de décider de la saisie des biens immobiliers de l’exploitant objets de la déclaration.

2 – Le nouveau statut d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL)

Mis en place par la loi n°2010-658 du 15 juin 2010, le but de ce statut est d’offrir la possibilité pour tout entrepreneur individuel d’affecter les biens nécessaires à son activité professionnelle à un patrimoine spécialement dédié.

Les personnes concernées :

  • les nouveaux entrepreneurs individuels,
  • les entrepreneurs individuels existants, 
qu'ils exercent une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Une responsabilité limitée au patrimoine d'affectation :

Contrairement à l'entreprise individuelle classique, le patrimoine personnel du chef d'entreprise n'est pas engagé.
 Il crée un patrimoine professionnel, appelé patrimoine d'affectation, qui seul peut être saisi en cas de difficultés :

  • par les créanciers professionnels dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration d'affectation
  • par les créanciers dont les droits sont nés antérieurement à celle-ci. 
Cependant, l'opposabilité aux créanciers antérieurs est soumise à différentes conditions, notamment :
    • 
la déclaration doit mentionner expressément son opposabilité aux créanciers antérieurs.

    • chaque créancier antérieur doit être informé individuellement de la constitution du patrimoine affecté ainsi que de son droit de faire opposition à cette déclaration d'affectation et du délai dont il dispose pour faire une action en justice.

Composition du patrimoine d'affectation :

L'entrepreneur fait une déclaration en désignant le patrimoine d'affectation ; il ne peut en déclarer qu'un seul mais ce patrimoine d'affectation peut avoir un objet suffisamment large pour concerner des activités connexes.
Il doit affecter à ce patrimoine :

-    obligatoirement, tous les biens, droits, obligations, sûretés qui sont nécessaires à l'activité de l'EIRL et dont il est titulaire,

-    facultativement, les biens, droits, obligations, sûretés qu'il utilise dans le cadre de son activité.



Obligations déclaratives

 :

L’entrepreneur individuel doit déposer une déclaration d’affectation au centre de formalités des entreprises (CFE) qui se chargera de la transmettre :
  • au Registre du commerce et des sociétés (RCS) pour les commerçants
  • au Répertoire des métiers (RM) pour les artisans,
- au Registre tenu par la chambre d'agriculture pour les exploitants agricoles
  • au greffe du tribunal de commerce pour les auto-entrepreneurs dispensés d'immatriculation et pour les professionnels libéraux.

Obligations en cours de vie de l'EIRL

 :

  • L'EIRL doit utiliser une dénomination incorporant son nom (et le cas échéant le nom fantaisiste) précédé ou suivi de la mention "entrepreneur individuel à responsabilité limitée" ou le sigle EIRL, pour l'exercice de son activité professionnelle.
  • L'EIRL doit ouvrir un ou plusieurs compte(s) bancaire(s) exclusivement dédié(s) à l'activité professionnelle visée par la déclaration d'affectation.
  • L'EIRL doit tenir une comptabilité autonome ; il est soumis aux règles comptables de la comptabilité commerciale (même si l'activité exercée relève des BNC).

En définitive, ces innovations juridiques mises en place par le législateur et interprétées de manière large par les juges ne peuvent qu’inciter les entrepreneurs individuels désireux de protéger leur patrimoine personnel à les utiliser et même les cumuler.