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12.11.2020 11:09 Il y a: 4 yrs
Categorie: Immobilier et Construction
Auteur : Frédéric DAGRAS

PRENEUR ET BAILLEUR FACE AU COVID-19 DES MESURES QUI SE SUCCEDENT MAIS QUI NE SOLUTIONNENT PAS LES DIFFICULTES DE PAIEMENT


« La plus mauvaise transaction (...) est meilleure que le meilleur procès » 

Honoré de Balzac, Code des gens honnêtes

Suite aux premières mesures gouvernementales annoncées le 17 mars 2020 dans le cadre de la crise sanitaire impactant la France et le monde entier, les bailleurs et locataires se sont interrogés sur leurs droits et obligations.

En effet, parmi les mesures annoncées lors de la mise en place du confinement de la population, figuraient des mesures propres à certaines entreprises afin de leur permettre de survivre pendant cette crise.

Ainsi, le Président de la République annonçait, parmi les mesures visant à protéger les PME, la « suspension des factures d'eau, de gaz ou d'électricité ainsi que des loyers ».

Panique des bailleurs qui se voyaient ainsi privés de revenus qui pour certains constituent leurs seules ressources, tout en étant tenus de rembourser des prêts immobiliers.

Soulagement des preneurs qui, en raison du confinement, se trouvaient dans l’impossibilité d’exploiter leur fonds commerciaux ou artisanaux, totalement ou partiellement.

Si l’annonce était claire sur le champ d’application de cette mesure de suspension des loyers qui ne concerne pas les baux d’habitation, des interrogations subsistaient sur les bénéficiaires et ses modalités.

Si l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, apporte des éléments de réponse, elle ne règle aucunement le sort des loyers durant la période d’état d’urgence sanitaire, obligeant les parties à trouver un terrain d’entente, sous peine de devoir engager des procédures aux résultats très aléatoires.

Les annonces faites suite aux nouvelles mesures restrictives mises en œuvre depuis le 30 octobre 2020 ne font que confirmer la nécessité de privilégier une solution négociée avec son co-contractant.

  • L’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 : une suspension des loyers qui ne l’est pas 

L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, définit les modalités des mesures destinées aux preneurs à bail professionnel ou commercial pour leur permettre de faire face aux conséquences économiques de l’épidémie.

Seules peuvent bénéficier de ces mesures les personnes physiques ou morales de droit privé susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020. 

Le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 modifié par le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020 fixe les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides :

  • L'activité de l'entreprise doit avoir débuté avant le 1er février 2020.
  • Elle ne doit pas se trouver en liquidation judiciaire au 1er mars 2020.
  • Si la société a des salariés, ils ne doivent pas être plus de 10.
    L'entreprise doit avoir sa résidence fiscale en France.
  • Le chiffre d'affaire hors taxe de l'entreprise doit être inférieur à 1 million € lors du dernier exercice clos.
  • Le bénéfice imposable ne doit pas dépasser pas 60 000 € (120 000 € si la personne mariée avec le chef d'entreprise est conjoint collaborateur).

L'entreprise doit avoir subi l'un des préjudices suivants :

  • soit avoir fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public,
  • soit avoir eu une perte importante du chiffre d'affaire : l'entreprise doit avoir perdu au moins 50 % de chiffre d'affaires en mars 2020 (par rapport à mars 2019) ou en avril 2020 (par rapport à avril 2019).

Les preneurs remplissant ces conditions sont éligibles au fonds de solidarité et donc au bénéfice des dispositions prises par ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020.

Si l’ordonnance détaille les modalités de rééchelonnement de factures d’électricité, de gaz et d’eau (rééchelonnement des factures reportées sur les factures postérieures à la crise sanitaire sur une durée minimale de 6 mois), elle reste hélas très floue sur le report des loyers.

L’article 4 précise : 

« Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée. »

Ainsi, le bailleur ne peut actionner la clause résolutoire ou sanctionner le défaut de paiement de loyers arrivant à échéance entre le 12 mars et l’expiration d’un délai de 2 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, fixée au 10 juillet 2020, soit jusqu’au 10 septembre 2020.

Mais rien n’est dit sur les modalités de suspension et de rééchelonnement des loyers, laissant ainsi les preneurs et bailleurs se débrouiller entre eux.  

A défaut de report aménagé par les textes, les loyers durant cette période restent exigibles et le bailleur peut poursuivre leur paiement forcé sans pouvoir actionner la résiliation du bail. 

  • L’abandon de loyer suite aux nouvelles mesures restrictives mises en œuvre depuis le 30 octobre 2020

Suite aux nouvelles mesures de confinement applicables depuis le 30 octobre 2020, le gouvernement a pris l’engagement d’introduire dans le projet de loi de finances pour 2021 un crédit d’impôt visant à inciter les bailleurs à participer au soutien aux entreprises.

Le crédit d’impôt bénéficiera à tous les bailleurs, personnes physiques ou morales, qui auront accepté d’abandonner au moins un mois de loyer dû, sur la période d’octobre à décembre 2020, par des entreprises de moins de 250 salariés, fermées administrativement ou appartenant au secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration.

Ce crédit d’impôt sera de 30% du montant des loyers abandonnés. Bien que cela ne soit pas précisé, cet abandon de loyer devra faire l’objet d’un accord écrit des deux parties afin qu’il ne puisse être remis en cause ultérieurement. 

Ainsi, aucune mesure de suspension des loyers commerciaux ou professionnels n’est prise par le gouvernement dans le cadre de cette deuxième période de confinement, le crédit d’impôt annoncé ayant pour seule finalité de faciliter un règlement amiable des litiges locatifs.

En effet, face au silence des mesures prises depuis le mois de mars 2020, Preneurs et Bailleurs sont contraints de s’accorder sur un aménagement du paiement des loyers qui puisse prendre en compte les intérêts de chacun :

  • Du preneur confronté à la fermeture de son fonds et à la baisse significative de son chiffre d’affaires en résultant, 
  • Du bailleur qui ne peut bénéficier des mesures d’aide, doit rembourser un emprunt immobilier et/ou dont les revenus fonciers constituent ses seules ressources.

A défaut d’accord, le bailleur risque de voir opposer par son locataire une demande de suspension voir de suppression des loyers pour cas de force majeure.

Pour autant, la covid-19 peut-il dispenser le preneur de ses obligations sur le fondement de la force majeure ?

  • La force majeure : une suspension mais pas de suppression 

Selon l’article 1218 du code civil, « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Pour caractériser la force majeure, il faut la réunion de trois éléments : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.

La question est donc de savoir si la covid-19 serait susceptible de constituer un cas de force majeur permettant la suppression des loyers.

Jusqu’à présent, les épidémies telles que les épidémies de grippe H1N1 en 2009, de la dengue et du chikungunya n’ont pas été jugées comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure, les juridictions françaises estimant que ces épidémies ne présentaient pas un caractère imprévisible et/ou irrésistible, ces maladies étant connues ou surmontables 

S’agissant du covid-19, l’appréciation devrait être différente, son imprévisibilité pour les contrats conclus avant le mois de janvier 2020 et son irrésistibilité paraissant difficilement contestables au regard de de la gravité de cette crise sanitaire et de son ampleur.

Plus irrésistible encore est la fermeture administrative des établissements ouverts au public prononcée par arrêté du 14 mars 2020, puis par décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020, qui peut revêtir la qualification du fait du prince comme étant un événement ayant un caractère de force majeure causé par une décision d’une autorité publique.  

Ainsi, il paraît possible pour un preneur de solliciter judiciairement l’aménagement des loyers échus pendant la période d’état d’urgence sanitaire du fait de l’épidémie et la fermeture administrative ordonnée par les pouvoirs publics, constitutive l’une et l’autre d’un cas de force majeure rendant impossible l’exécution du contrat.

D’importants tempéraments doivent toutefois être apportés : 

D’une part, le contrat de bail peut viser une clause dérogeant expressément aux dispositions de l’article 1218 du Code civil et imposant l’exécution du contrat malgré la survenance d’un cas de force majeur. En présence d’une telle clause dérogatoire, la demande du preneur ne pourrait prospérer.

D’autre part, l’existence d’un cas de force majeure relève de l’appréciation souveraine des Tribunaux qui jusqu’à présent, ont adopté une position très restrictive.

Enfin et surtout, la force majeure permet seulement de suspendre le contrat ou de la résilier en cas d’empêchement définitif. La Cour de cassation, dans un arrêt du 16 septembre 2014, 13-20.306, ayant rappelé que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne pouvait s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Ainsi, le preneur ne pourrait se prévaloir de la force majeure pour solliciter une suppression des loyers mais seulement une suspension des loyers comme conséquence de la suspension du contrat.

L’intérêt d’une demande de suspension pour cas de force majeure paraît limitée, dès lors que le défaut de règlement de loyers exigibles pendant la première période d’état d’urgence sanitaire prolongée de deux mois (soit entre le 12 mars 2020 et le 10 septembre 2020) ne peut être sanctionnée par l’effet de l’ordonnance 2020-316 à l’égard des TPE éligibles au fonds de solidarité. 

L’intérêt demeure cependant pour les entreprises qui ne bénéficient pas des mesures d’aménagement des factures sur la première période d’état d’urgence et/ou en cas de défaut de paiement des loyers échus après le 10 septembre 2020.

Une deuxième action pourrait être envisagée, celle de la révision du contrat pour cause d’imprévision qui diffère de sa suspension.

  • L’imprévision : une révision incompatible avec le statut des baux commerciaux ?

L’article 1195 du Code civil dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux contrats conclus ou renouvelés postérieurement au 1er octobre 2016.

En outre, le mécanisme de l’imprévision peut faire l’objet d’aménagement conventionnel, les parties pouvant même l’exclure par une clause expresse.

Sous ces réserves, la partie qui voit l’exécution du contrat devenir excessivement onéreuse du fait d’un changement de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion, a la possibilité de solliciter une renégociation du contrat avec l’autre partie.

En cas d’échec, la partie lésée peut saisir le Juge afin de réviser le contrat ou y mettre fin.

Il convient de souligner que pendant le processus de renégociation, il n’y a aucune suspension de l’exécution des obligations contractuelles.

Ainsi, le Preneur pourrait se prévaloir de la crise sanitaire actuelle pour solliciter une révision du montant du loyer sous condition de justifier d’une exécution du contrat rendue excessivement onéreuse du fait de la pandémie.

Cependant cette demande de révision sera également soumise à l’appréciation souveraine des Tribunaux qui devront se prononcer sur le caractère imprévisible du changement et sur le caractère excessivement onéreux de l’exécution du bail.

Par ailleurs, le caractère temporaire de la pandémie risque de constituer un frein à l’accueil favorable d’une demande de révision des loyers devant les tribunaux, estimant que cette temporalité rentrerait dans le domaine de la force majeure qui ne pourrait que motiver une simple suspension.

Enfin et surtout, la Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt du 12 décembre 2019 (n°18/07183), vient de décider que le mécanisme de droit commun de l’imprévision issu de l’article 1195 du Code civil ne pourrait s’appliquer aux baux commerciaux au motif que leur statut prévoit de nombreuses dispositions spéciales relatives à la révision du contrat (révision triennale, indexation..) et que les dispositions générales de l’article 1195 du Code civil devraient être écartées au profit des dispositions spéciales du statut des baux commerciaux.

Si cette jurisprudence devait être confirmée, le preneur à bail commercial ne pourrait donc se prévaloir de l’imprévision pour réviser son loyer à la baisse et devrait se conformer à la procédure spéciale de la révision triennale des loyers commerciaux, ce qui suppose d’attendre l’expiration d’un période triennale et de justifier d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité survenue en cours de bail et ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative.  Il est trop tôt pour apprécier l’impact de la pandémie sur la valeur locative des locaux commerciaux.

  • La demande de délais de grâce : une vielle recette toujours utile 

En toute hypothèse, il restera toujours la possibilité pour le preneur à bail commercial qui ne pourrait bénéficier des mesures prises par ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 ou qui serait débiteur de loyers échus depuis le 10 septembre 2020, de solliciter devant un juge, en application des articles 1343-5 du Code civil et L 154-41 du Code de commerce, des délais de paiement dans la limite de 24 mois ainsi que la suspension des effets d’une clause résolutoire qui aurait été actionnée par la délivrance d’un commandement de payer.

L’octroi de délai n’est cependant pas automatique, les juges devant tenir compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier. 

 

En conclusion, en cette période de crise, 

Face aux mesures incomplètes de nos gouvernants dans l’aménagement des loyers,

Face au caractère aléatoire des différentes procédures tendant à la suspension ou à la révision des loyers dans des situations exceptionnelles,

Face à la nécessité pour le preneur de pérenniser son exploitation,

Face à la nécessité pour le bailleur de sécuriser ses revenus locatifs, 

la négociation semble être la meilleure des solutions dès lors que chacune des parties prend conscience des difficultés de l’autre et accepte de faire des efforts. La solidarité n’est pas un vain mot.

Naturellement, nous ne sommes pas des utopistes et savons pertinemment que la crise économique qui s’annonce, sera génératrice de contentieux qui ne pourront se résoudre que devant un Tribunal. Nous serons là pour vous assister.

Mais, sachez qu’un mauvais arrangement vaut toujours mieux qu’un bon procès.