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04.11.2014 22:27 Age: 10 yrs
Category: Droit Social, Droit des Technologies Avancées
By: Me Charruyer - Avocat Toulouse - Conseil et Contentieux

Le droit à la déconnexion pour les salariés


« Comme tout commence en ce monde et tout finit ailleurs », avec les NTIC, tout commence au travail et se poursuit dans la vie privée...  TOUS CONNECTES , Tous surveillés ?  le lien de subordination fait place à la laisse électronique …. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) permettent voire encouragent une disponibilité permanente du salarié, rendant plus perméable encore la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle. C’est la raison pour laquelle certains syndicats réclament aujourd’hui la mise en œuvre, au sein de chaque entreprise d’une négociation obligatoire relative à l’utilisation des outils numériques ainsi que l’interdiction que le salarié puisse être « récepteur d’une sollicitation professionnelle durant ses temps de repos ».[1] Non seulement ces heures de travail réalisées sur le temps personnel du salarié ne sont pas décomptées et donc non rémunérées, mais surtout elles empiètent sur le repos minimum quotidien ou hebdomadaire dont il doit bénéficier.[2] 1/ Comment s’assurer du respect des règles légales en matière de  temps de repos  et plus largement de santé et sécurité des salariés ? 2/ Comment dans ces conditions gérer et s’assurer du contrôle du temps de travail effectif ? 3/ Comment concilier les impératifs antagoniques de réactivité, intérêt de l’entreprise à l’heure de la globalisation et du tout internet avec le nécessaire  respect de la vie privée des salariés, et la préservation de leur santé au travail ?

1.     Protection de la santé des salariés : durée maximale de travail et repos minimal obligatoire

Afin de protéger la santé des travailleurs, les dispositions légales fixent les durées quotidienne et hebdomadaire maximales de travail, ainsi que les durées minimales de repos dont ils doivent bénéficier. Ainsi, sauf dérogation, un salarié ne peut travailler plus de 10 heures chaque jour[3]. Il ne pourra, par ailleurs, travailler plus de 48 heures au cours d’une même semaine[4], ni plus de 44 heures par semaine sur une période quelconque de 12 semaines consécutives[5]. En outre, chaque salarié doit bénéficier d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives[6] et de 24 heures consécutives chaque semaine[7]. Or, l’utilisation accrue des NTIC dans la relation de travail permet à la vie professionnelle du salarié de prendre le pas sur sa vie personnelle : depuis son domicile ou dans les transports, le salarié accède en quelques secondes à ses courriels professionnels et demeure joignable où qu’il se trouve. Il reste ainsi, au cours de son temps de repos, à la disposition de son employeur et continue à exécuter sa prestation de travail. Apparaissent alors de nombreuses situations de stress et de « burn out » chez les salariés, qui ne bénéficient en réalité jamais des 11 heures consécutives de repos quotidien ou des 24 heures de repos hebdomadaire imposées par le Code du travail. Or, le non-respect par l’employeur des dispositions légales relatives aux durées maximales de travail et minimales de repos constitue une contravention de 4e classe sanctionnée par une amende de 750 euros au plus, appliquée autant de fois qu’il y a de salariés concernés. Plus important encore, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat[8] à l’égard de ses salariés. Il lui appartient alors de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs[9]. Le salarié dont l’état de santé se serait dégradé en raison du comportement fautif de l’employeur, qui le sollicite continuellement durant son temps de repos, pourrait alors demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, mais également en raison des nombreuses heures supplémentaires réalisées restées impayées[10].

2.     L’émergence d’un droit à la déconnexion

Soucieuses de la santé de leurs salariés et désirant améliorer la qualité de vie au travail, certaines entreprises se sont, depuis quelques années, engagées par voie conventionnelle à une utilisation maitrisée des NTIC, mettant en place un « droit à la déconnexion » au profit de leurs salariés. Ainsi, la société AREVA[11] a mis en place un système de coresponsabilité des salariés et de l’employeur, exigeant de chaque salarié qu’il veille à se déconnecter du réseau et à ne pas envoyer de courriel en dehors des heures habituelles de travail, tout en prévoyant un suivi spécifique et régulier des flux de courriels et de leur répartition temporelle par l’employeur. Plus radicales, les sociétés VOLKSWAGEN et REUNICA[12] ont, quant à elles, prévu la fermeture complète du serveur informatique des messageries électroniques en dehors des horaires de travail : les salariés ne peuvent donc plus recevoir aucun courriel durant leurs périodes de repos quotidien et hebdomadaire. L’accord collectif de la société REUNICA précise, par ailleurs, qu’un salarié n’a pas à envoyer de courriels durant une période de suspension de son contrat de travail (congés payés, RTT, maladie, etc.), ni à répondre aux courriels d’un collègue en congés, RTT ou arrêt de travail. La société THALES[13] va plus loin en prévoyant, outre un droit à la déconnexion pendant la durée légale de repos, l’attribution d’une note aux salariés relative à l’utilisation des NTIC, ainsi que des actions de formation et de sensibilisation dispensées à la fois aux salariés et aux managers. Forfait-jours : L’exigence de protection de la santé du salarié conduit la Cour de cassation à contrôler de manière stricte les dispositions des conventions collectives encadrant la conclusion une convention de forfait annuel en jours. Pour être valable, la Cour de cassation considère que toute convention de forfait-jours doit résulter d’une convention collective ou d’un accord collectif qui garantisse notamment le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires, le suivi et le contrôle de l’amplitude des journées de travail, une charge de trvaail raisonnable et une protection de la santé et de la sécurité du salarié[14]. C’est ainsi qu’elle a invalidé les dispositions de nombreuses conventions collectives nationales, qu’elle a considéré insuffisamment protectrices de la santé des salariés[15]. Les conventions de forfait conclues en application de ces dispositions sont, par conséquent, nulles et ouvrent droit à un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées. Afin de sécuriser les dispositions invalidées de la convention collective SYNTEC, les partenaires sociaux de la branche ont conclu, le 1er avril 2014, un avenant prévoyant notamment que « l’effectivité du respect par le salarié des durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ». Le droit à la déconnexion est ainsi consacré, pour la première fois, à un niveau supérieur à celui de l’entreprise : la branche professionnelle.

3.     La conciliation d’intérêts antagoniques :

>  Conseils aux employeurs : Afin d’éviter tout risque de contentieux relatifs au non paiement d’heures supplémentaires ainsi qu’au non-respect des durées maximales de travail et minimales de repos, il apparait indispensable pour l’employeur :
  • Soit de conclure un accord d’entreprise rappelant les dispositions légales relatives au repos et durées maximales de travail, et consacrant le droit du salarié à la déconnexion de ses outils de communication en dehors de ses horaires de travail :
    • soit par l’interdiction de tout envoi de courriels et d’appels téléphoniques au cours de la période de repos,
    • soit par la fermeture du serveur informatique des messageries électroniques au cours de cette période.
Il convient alors de prévoir un système de suivi permettant à l’employeur de contrôler le respect des temps de repos des salariés.
  • Soit de mettre en place une charte informatique  et la compléter le cas échéant en définissant et actualisant  les règles d’utilisation des NTIC afin de permettre la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés.
Parallèlement à cet accord ou à cette charte, il est judicieux d’organiser des actions de formation à une bonne utilisation des NTIC, tant à l’égard des salariés qu’à l’égard des managers, ces derniers étant les premiers garants de l’équilibre de vie de leurs équipes. >  Conseils aux salariés : Il s’agit d’apprendre à ne pas céder à l’instantanéité de la messagerie électronique : savoir gérer les priorités, se fixer des plages horaires pour répondre aux courriels, déconnecter ses outils de communication, si ce n’est en dehors des horaires de travail, au moins lors des 11 heures de repos quotidien ou des 24 heures de repos hebdomadaire. Par ailleurs, la violation des durées maximales de travail et minimales de repos, ainsi que le non paiement des heures supplémentaires effectuées par l’employeur, permettent au salarié de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Pour que l’addiction des uns ne devienne pas le harcèlement numérique des autres, il est indispensable pour chacun de maitriser en amont la délimitation du temps de travail.
[1] C’est la raison pour laquelle la CGT réclame aujourd’hui la mise en œuvre, au sein de chaque entreprise d’une négociation obligatoire relative à l’utilisation des outils numériques ainsi que l’interdiction que le salarié puisse être « récepteur d’une sollicitation professionnelle durant ses temps de repos ». Après la CFDT et la CFE-CGC, c’est donc au tour de la CGT de réclamer la consécration d’un droit à la déconnexion, droit qui émerge progressivement dans les entreprises par le biais d’accords collectifs relatifs à la qualité de vie au travail. [2]Remarque : En Allemagne, un projet de loi relatif au stress au travail consacrant l’existence d’un droit à la déconnexion va être proposé par la Ministre du Travail. Celui-ci interdit notamment l’envoi de courriels ainsi que la réception d’appel professionnels pendant les congés du salarié. [3] C. trav., art. L. 3121-34 [4] C. trav., art. L. 3121-35 [5] C. trav., art. L. 3121-36 [6] C. trav., art. L. 3131-1 [7] C. trav., art. L. 3132-2 [8] Cass. soc., 28 février 2002, no 99-17.201 [9] C. trav., art. L. 4121-1 [10] La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle entraine donc le versement au salarié des indemnités de rupture ainsi que des dommages-intérêts notamment pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et pour travail dissimulé. [11] Accord collectif sur le développement de la qualité de vie au travail du 31 mai 2012 [12] Accord collectif du 29 janvier 2014 [13] Accord collectif du 4 février 2014 [14] Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107 [15] Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-19.807 : sur la convention collective nationale des industries chimiques ; 13 juin 2012, n°11-10.854 : sur l’accord collectif de branche des aides familiales rurales et personnel de l’aide à domicile en milieu rural ; 19 septembre 2012, n° 11-19.016 : sur l’accord de branche des entreprises de l’habillement ; 26 septembre 2012, n° 11-14.540 : sur la convention collective nationale des commerces de gros ; 24 avril 2013, n° 11-28.398 : sur la convention collective SYNTEC ; 14 mai 2014, n°12-35.033 : sur la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes.